Loi 5 et effectivité

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Loi 5 – Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux 

En vigueur, oui, mais est-elle vraiment effective? 

Dans le secteur de la santé au Québec, l’été qui s’achève a été marqué par l’entrée en vigueur, le 1ᵉʳ juillet dernier, de la Loi 5 soit la Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives, ainsi que des règlements afférents (règlement d’application et règles de gouvernance). Ceux qui ont suivi les travaux préalables à cette étape, ont sûrement déjà noté que cette nouvelle loi entraîne un changement majeur de paradigme en ce qui concerne la communication de renseignements de santé et de services sociaux, en intégrant pour une large part une formule de  « consentement présumé » (parfois désignée comme « opting out »).

De fait, comme nous l’avons déjà relaté plus longuement dans des textes antérieurs, celle-ci prévoit que la communication des renseignements visés, entre les intervenants chargés de la prestation de services au patient, peut se faire sans le consentement « exprès » ou même implicite de ce dernier pour certaines finalités spécifiques, cliniques notamment, mais avec une possibilité pour lui d’exercer un droit de restriction  (art. 7, 9, 38 à 40; voir également le règlement d’application, art. 3 et 4). De la même façon, un « droit de refus » est prévu en ce qui concerne l’accès à ces renseignements par les proches dans le cadre d’un processus de deuil ou pour connaître les causes de décès ou encore, pour l’accès par des chercheurs (art. 8 et 9; voir également le règlement d’application, art. 5 et 6).

Ces droits de restriction et de refus conférés au patient constituent en quelque sorte la contrepartie nécessaire pour obtenir une plus grande fluidité dans la communication des renseignements en cause et on peut penser que, dans une perspective juridique, ils sont essentiels au fonctionnement adéquat du nouveau régime.

Or, s’il ne fait nul doute que la Loi 5 est en vigueur, il n’est pas certain qu’elle soit pleinement effective, surtout en ce qui concerne la mécanique du consentement présumé et des obligations et droits correspondants. C’est du moins le cas si on entend la notion d’effectivité comme référant au  « caractère d’une règle de droit qui est appliquée réellement ».

Droits de restriction et de refus : Les patients ont-ils eu une occasion valable de les exercer ?

L’entrée en vigueur d’une loi aussi importante que la Loi 5 devrait généralement s’accompagner de mesures substantielles au chapitre de l’information et de la formation des professionnels et des autres intervenants qui seront chargés, au premier chef, d’en assurer l’application. Il devrait en être ainsi d’ailleurs pour le public, considérant que certains droits fondamentaux, dont le droit à la vie privée et au secret professionnel, sont directement ou indirectement impactés par la Loi 5. Dans son mémoire présenté lors des travaux parlementaires relatifs à la Loi 5 , la Commission d’accès à l’information indiquait d’ailleurs que « l’information qui sera diffusée est aussi essentielle pour certains droits prévus par le projet de loi, comme le droit de refus ou le droit de restreindre l’accès à leurs renseignements » (p. 72).

On note à ce sujet qu’une disposition transitoire de la Loi 5 (art. 280) prévoit que le ministre responsable, soit le ministre de la Santé et des Services sociaux, doit, avant l’entrée en vigueur des dispositions correspondantes, « informer la population des droits de restriction et de refus qui y sont prévus ». Or, on ne peut certainement pas dire qu’il y ait eu une véritable « campagne d’information »  à ce sujet, l’essentiel des efforts ayant semble-t-il consisté à rendre disponibles, très peu de temps avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi et de façon très succincte, certaines informations sur une discrète page du site web du MSSS. Il en découle donc qu’au moment d’écrire ces lignes, les personnes ayant été informées de la possibilité d’exercer les droits de restriction et de refus prévus par la Loi 5 sont fort probablement encore peu nombreuses, sans même parler ici de celles qui auraient eu une véritable occasion d’exercer ces droits suivant les exigences réglementaires (règlement d’application, art. 3 et 4).

Pour les mêmes raisons, il n’est pas acquis que, actuellement, les nombreux intervenants qui ne sont pas membres d’ordres professionnels, mais qui contribuent à la prestation de soins (les préposés aux bénéficiaires et les assistants techniques, par exemple), ont tous satisfait à l’exigence de formation qui leur est applicable pour avoir accès aux renseignements de santé (art. 39 et règlement d’application, art. 7 à 9). Ici aussi, cette formation a été rendue disponible très peu de temps avant l’entrée en vigueur de la loi et, considérant le nombre d’organismes et de personnes visés, il est plausible que seul un petit nombre ait même été informé de cette obligation.

Par ailleurs, à ce jour, le ministre n’a toujours pas utilisé les pouvoirs réglementaires qui lui sont attribués pour indiquer que certaines catégories de renseignements peuvent être exclues, lorsque le risque de préjudice qu’entraînerait leur divulgation serait nettement supérieur aux bénéfices escomptés pour la personne concernée (art. 42), ni pour prévoir des balises relatives au partage de renseignements entre intervenants ou encore, des profils, des procédures et des moyens d’accès (art. 43).

En somme donc, il apparaît difficile pour l’instant de croire que les conditions préalables d’information requises pour le fonctionnement du régime de consentement présumé établi par la Loi 5, sont véritablement satisfaites. Il en est peut-être ainsi également des conditions technologiques.

Une loi «technologiquement neutre », mais surtout conçue pour le « Dossier santé numérique » 

Dans le communiqué émis à l’occasion de l’entrée en vigueur de la Loi 5, le ministre Christian Dubé indiquait que l’adoption de cette loi signifie que « le virage numérique du réseau de la santé et des services sociaux est en train de s’effectuer » et il y était également précisé que la nouvelle loi vise à permettre:

« … au patient ou à la patiente de ne plus avoir à répéter son histoire aux différents intervenants et intervenantes, car la donnée le suivra, plutôt que le contraire. Il y aura une trace de toutes les consultations. Une personne pourra non seulement consulter ses propres renseignements, mais aussi savoir qui les a consultés ».

Il est certainement vrai que la Loi 5 apparaît avoir été conçue en vue de soutenir l’utilisation d’un dossier numérique centralisé et interconnecté, dont le contenu suivrait le patient dans la plupart des lieux où il obtient des services de santé et de services sociaux. On peut ainsi espérer que les choses évoluent en ce sens, avec le développement du Dossier de santé numérique (DSN), pour lequel un contrat avec une firme américaine a été conclu récemment.

Ainsi, le régime de consentement présumé introduit par la Loi 5 pourrait raisonnablement bien fonctionner dans le cadre d’un DSN centralisé, s’il est conçu en fonction des paramètres particuliers de cette loi. Le respect du droit de restriction ou de refus par les personnes concernées pourrait être assuré à large échelle par des restrictions technologiques d’accès, activées dès lors que le patient aurait exercé le droit en question. Il pourrait en être ainsi d’ailleurs pour la question du respect du critère de nécessité d’accès à des fins cliniques, qui pourrait être supporté par l’établissement de « profils d’accès types par catégorie d’intervenants » (art. 43 par. 2), comme c’est d’ailleurs actuellement le cas pour le Dossier santé Québec (DSQ).

Cela dit, tous les renseignements de santé et de services sociaux, sans égard à leur support, sont assujettis à la Loi 5, puisque que, comme le signalait son parrain, le ministre Éric Caire, lors des travaux parlementaires, celle-ci est « technologiquement neutre ».

C’est ici que se présente un autre écueil quant à l’effectivité complète et réelle de la Loi 5.

Ainsi, malgré les promesses du DSN, il faut garder à l’esprit que, comme l’a signalé la Vérificatrice générale dans son rapport de 2023 alors qu’elle révélait plusieurs faiblesses en matière de protection des renseignements personnels dans le réseau de la santé et des services sociaux, « 10 000 systèmes d’information seraient utilisés actuellement dans le réseau […] dont certains datent de plus de 20 ans. ». Ajoutons ici les cas probablement encore très nombreux dans les différents organismes visés par la Loi 5, dans les secteurs publics et privés (comme les cabinets privés de professionnels, les résidences pour personnes âgées, etc.), où des dossiers sur support papier sont utilisés, sans compter bien sûr la communication de tels renseignements par télécopieur. S’il faut espérer des développements plus concluants pour l’avenir en ce qui concerne le DSN, l’histoire cahoteuse des 30 dernières années de différents projets semblables au Québec, conduit peut-être à entretenir une certaine réserve en cette matière.

Il est donc loin d’être acquis que, présentement, chaque organisme visé par la Loi 5 est vraiment en mesure de composer efficacement avec l’obligation qui lui est faite de « s’assurer que les renseignements qu’il détient et qui font l’objet d’une restriction à l’accès […] ou d’un refus à l’accès […] soient conservés d’une manière à respecter cette restriction ou ce refus » (règlement d’application, art. 11). De multiples contraintes technologiques ou de gestion documentaire peuvent faire obstacle à la mise en œuvre efficace de cette obligation, surtout dans un contexte où l’information et la formation en cette matière pour les intervenants sont encore très limitées, voire inexistantes.

Dans le doute, obtenir le consentement du patient…

Dans le contexte ci-avant décrit, comment alors un professionnel ou un organisme de santé et de services sociaux qui reçoit aujourd’hui une demande de communication d’un renseignement visé par la Loi 5 devrait envisager l’application des dispositions qui y sont prévues? Faut-il vraiment faire comme si la formule du consentement présumé, avec « opting out » possible, était pleinement effective et donc, en l’absence d’un refus ou de restriction du patient exprimé par écrit comme le veulent les exigences réglementaires (règlement d’application, art. 3 et 4), communiquer les renseignements à qui les demande? Comment concevoir l’obligation faite par la Loi 5, dans les cas où un accès y est autorisé, de communiquer un renseignement, sous peine de commettre une infraction pénale (art. 69 à 71 et 159 par. 2)?

Sans reprendre dans sa totalité l’analyse proposée dans de précédents textes, on peut rappeler ici le caractère autonome du secret professionnel et le principe de l’interprétation restrictive des exceptions à l’obligation de confidentialité. On peut aussi souligner un récent jugement de la Cour d’appel du Québec, qui a fait prévaloir l’obligation au secret professionnel et à la confidentialité sur une autre considération généralement considérée comme particulièrement importante sur le plan judiciaire, soit la « recherche de la vérité » dans le contexte d’une poursuite pour une infraction criminelle. La Cour d’appel a alors rappelé une préoccupation qui n’est pas nouvelle, mais qui est fondamentale dans le domaine de la santé, soit que le « fait de ne pas protéger la confidentialité des communications entre une patiente et l’équipe traitante en psychiatrie risquerait d’avoir un effet dissuasif sur la capacité d’autres personnes souffrant de conditions similaires d’obtenir les traitements nécessaires et sur celle des psychiatres et de l’équipe hospitalière de fournir ces traitements ».

Autrement dit, tant qu’il apparaîtra que les fondements de la Loi 5 sont peu opérationnels, il y aura probablement lieu pour les professionnels et organismes de santé et de services sociaux confrontés à un doute relativement au fait qu’un patient autorise une communication d’un renseignement le concernant, de tenter d’abord d’obtenir le consentement de ce dernier. Dans plusieurs cas, le fait de communiquer des renseignements en s’en remettant au seul fait qu’un droit de restriction ou de refus n’a pas été exercé, sans tenir compte du contexte de faible effectivité de ces droits, pourrait constituer une conduite difficilement conciliable avec l’obligation d’assurer le respect du secret professionnel et du droit à la vie privée des patients concernés.

Cela dit, comme déjà indiqué dans nos textes précédents, le secret professionnel n’est généralement pas un obstacle au nécessaire partage d’informations entre les professionnels et les autres intervenants contribuant à la prestation de soins. Que ce soit sur la base d’un consentement explicite ou, ce qui est peut-être plus réaliste dans plusieurs contextes cliniques, sur la base d’un consentement implicite, ce partage peut généralement être considéré comme étant autorisé au regard du secret professionnel. C’est généralement le cas à l’intérieur de ce que certains désignent comme le « cercle de soins », au sein d’une équipe traitante, voire d’un organisme. Ce sont surtout les communications à des tiers, à l’extérieur d’une telle équipe ou d’un organisme, ou encore, pour des fins autres que cliniques, qui pourraient ainsi poser un problème si elles étaient faites sans le consentement des patients qui n’auraient pas encore eu une véritable occasion d’exercer leurs droits de restriction ou de refus.

Vraisemblablement donc, le changement de paradigme que la Loi 5 vise à introduire, aussi nécessaire et pertinent soit-il, ne pourra réellement et complètement être effectif que lorsque les conditions nécessaires seront réunies, soit notamment une possibilité réelle pour la population d’exercer les droits de restriction et de refus qui y sont prévus. Le déploiement d’un DSN paramétré en fonction des exigences de la loi, la formation de l’ensemble des intervenants concernés et un encadrement réglementaire plus substantiel contribueront aussi à rendre cette loi véritablement effective.

Ce contenu a été mis à jour le 25 septembre 2024 à 14 h 12 min.

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