Entre paternalisme médical et paternalisme judiciaire, mon cœur balance…

Par Audrey Ferron Parayre

 

« Un peu plus haut, un peu plus loin. Je veux aller un plus loin », écrivait Jean-Pierre Ferland. Je n’ai ni la verve de Ferland, et encore moins la voix de Ginette Reno. Lorsqu’il est question du devoir d’information pourtant, je chante haut et fort que le moment est venu d’aller plus haut et plus loin dans la reconnaissance de cette obligation des médecins, mais surtout de ce droit fondamental des patients, préalable à toute prise de décision libre et éclairée en matière de soins.

 

Obligation du médecin…

Principe phare inscrit aux articles 10 et 11 du Code civil du Québec (C.c.Q.), le consentement aux soins protège des droits fondamentaux de la personne : son intégrité et le respect de son autonomie.

Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité. […] nul ne peut lui porter atteinte sans son consentement libre et éclairé. (article 10 C.c.Q.)

 

Si l’on doit consentir, ou mieux encore, véritablement choisir, les soins auxquels on souhaite se soumettre, il faut d’abord avoir reçu une information pertinente et complète sur les options qui s’offrent à nous. C’est ce que les tribunaux ont reconnu par l’obligation d’information, ou devoir de divulgation, qui incombe au médecin responsable du soin. Cette obligation inclut le fait de dévoiler la nature du problème (le diagnostic médical), les options thérapeutiques, les risques et les bénéfices liés à ces options (y compris ce qui se passe si l’on choisit de ne rien faire), et les chances de réussite ou d’échec pour ces options.

Bien que ce devoir du médecin soit bien ancré dans notre droit, il faut reconnaître qu’il est ardu pour le patient d’obtenir réparation devant les tribunaux lorsque cette obligation n’a pas été remplie par le médecin. En effet, c’est le régime général de la responsabilité civile qui s’applique alors, et le patient-demandeur doit démontrer (selon la balance des probabilités) une faute, un préjudice et un lien de causalité. Très simplement résumé, le patient démontre la faute en prouvant qu’un médecin raisonnable, dans les mêmes circonstances, aurait dévoilé l’information que son médecin traitant a omis de divulguer. Quant au préjudice, il résulte généralement de la réalisation d’un risque qui n’a pas été dévoilé et qui aura entraîné des souffrances physiques et morales. Finalement, le patient doit démontrer la causalité, à savoir que s’il avait été adéquatement informé, il n’aurait pas consenti au soin – ce qui, du coup, aurait évité la réalisation du risque ayant causé le préjudice.

Le fardeau est donc immense pour le patient, et force est de constater qu’il réussit peu souvent à obtenir une réparation lorsque le médecin a failli à son devoir de lui donner une information complète et adéquate. Le critère d’évaluation de la faute et la nécessité de subir un préjudice physique limitent la possibilité d’obtenir réparation, mais c’est le lien de causalité qui posera généralement le plus problème aux patients-demandeurs. Cet aspect de notre régime actuel de responsabilité médicale pour défaut d’information pose problème, mais n’est pas dénué de solutions juridiques intéressantes. Il suffit de porter son regard un peu plus haut, un peu plus loin…

 

… Droit du patient

Le reproche principal que j’émets à l’encontre de la conception juridique actuelle du consentement aux soins, c’est d’oublier de placer le patient au centre de ses préoccupations. Bien que le droit accorde une primauté « théorique » à l’autonomie du patient, dans les faits, la « tradition juridique civiliste » concède une importance encore plus grande aux pratiques des médecins, et répond ainsi d’un certain paternalisme à l’égard des patients.

On note en effet la difficulté de se détacher de l’expertise médicale dans l’établissement du lien de causalité. S’il est vrai qu’en droit québécois, la causalité s’évaluera en fonction du patient particulier et non d’un patient raisonnable, il n’en demeure pas moins que « le tribunal sera plus enclin à croire le patient quand le choix dont il a été privé est en harmonie avec celui qu’aurait fait une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. » (F. Tôth, 1990) Et bien souvent, on croit (à tort ou à raison) qu’une personne raisonnable aurait suivi les recommandations et les conseils de son médecin… Autrement dit, à moins que l’information qui n’a pas été divulguée soit outrageusement importante, il sera difficile pour un patient de démontrer avec satisfaction le lien de causalité. Particulièrement parce que l’appréciation du lien de causalité se fait a posteriori, ne laissant d’autre choix au patient que de tenter de démontrer quelle aurait été sa décision des mois, voire des années auparavant, le droit se refuse souvent à accepter une décision qui lui paraît irrationnelle.

Cependant, cette situation désavantageuse pour les patients n’est pas sans issue. Deux alternatives juridiques intéressantes se trouvent respectivement dans la doctrine québécoise et dans la jurisprudence française. La première propose de reconnaître le droit à l’information reconnu à l’article 44 de la Charte des droits et libertés de la personne comme englobant de facto le droit du patient d’être adéquatement informé lors du processus de consentement aux soins. Cette approche mise de l’avant par le professeur Tôth en 1989 permet de reconnaître la violation du devoir d’information comme étant tributaire d’un préjudice autonome. Ce faisant, le patient peut établir la responsabilité médicale du médecin sans nécessairement démontrer qu’il aurait refusé de consentir s’il avait été adéquatement informé. Par ailleurs, l’approche du professeur Tôth permet de passer outre l’absence d’un préjudice physique survenu suite à la réalisation d’un risque. En pratique, toutes les nuances que cette approche amène seront appréciées lors de l’évaluation des dommages, lorsqu’il est question d’établir le montant exact à accorder au patient pour les préjudices subis.

La jurisprudence française, tant civile qu’administrative, est quant à elle venue créer la notion de « préjudice d’impréparation ». Le concept est relativement simple : privé d’informations importantes pour sa prise de décision médicale, le patient n’a pu consentir de manière éclairée et se préparer, tant psychologiquement qu’en prenant d’éventuelles dispositions matérielles particulières, à la survenance d’un risque potentiel. À partir du seul constat d’une atteinte à ce droit à l’information, il y a matière à sanction :

s’agissant d’un droit personnel [le droit à l’information], détaché des atteintes corporelles, accessoire au droit à l’intégrité physique, la lésion de ce droit subjectif entraîne un préjudice moral, résultant d’un défaut de préparation psychologique aux risques encourus et du ressentiment éprouvé à l’idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle

Ainsi pour les cours de justice françaises, le défaut d’information constitue maintenant une faute autonome de laquelle découle nécessairement un préjudice. La jurisprudence française, en adoptant cette position, met donc un terme à la nécessaire corporalité du préjudice et au difficile établissement du lien de causalité entre le défaut d’informer (faute) et la réalisation d’un risque (préjudice physique) pour que le patient soit indemnisé.

 

En somme, le patient doit reprendre la place centrale qui lui est due dans le droit du consentement libre et éclairé. D’ailleurs, le temps ne serait-il pas venu de parler enfin du droit à une décision libre et éclairée ? Le devoir d’information, au-delà de sa nécessité en tant que préalable à la décision du patient, doit être envisagé comme une obligation à part entière devant être accomplie par le médecin. Si ce dernier fait défaut de remplir adéquatement son devoir de divulgation, son patient devrait pouvoir obtenir réparation pour le préjudice autonome que constitue la violation de son droit fondamental à l’information, qui plus est garant de son intégrité et du respect de son autonomie. Que ce soit l’approche doctrinale québécoise du professeur Tôth ou celle adoptée par les tribunaux français, l’essentiel est de ramener le patient, son droit à l’information et son autonomie, au centre des préoccupations du droit. Ce faisant, c’est un changement de paradigme qu’il nous faut opérer, et ce aussi bien sur le plan juridique que médical. C’est loin d’être une mince tâche, mais le droit se doit de contribuer à cette mouvance vers l’empowerment du patient dans ses soins de santé. Bien sûr, les arguments soulevés dans ce billet méritent d’être approfondis, et ils le seront certainement au fil de mes prochains écrits et dans ma thèse. Suivez-moi, l’avion vient à peine de décoller!

Ce contenu a été mis à jour le 11 février 2016 à 11 h 26 min.

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