Défaut d’informations sur le lien de causalité entre l’utilisation des médicaments contre l’épilepsie et les malformations sur le fœtus : nécessité d’une réforme immédiate

Par Laurence Largenté, chargée de cours, Université de Montréal et de Sherbrooke, candidate au doctorat


 

 

L’annonce dans deux émissions de Radio-Canada (Info matin et l’heure du monde du 23 août 2016) sur l’insuffisance de communication des effets indésirables graves lors de l’utilisation de médicaments par les femmes enceintes pour prévenir les crises d’épilepsie me pousse à réagir vivement.

 

De quoi s’agit-il exactement?

L ‘Épival (divalproex) utilisé au Canada et le Depakine (acide valproïque ou valproate) prescrit en France sont deux médicaments appelés des psychorégulateurs qui ont pour but, entre autre, de prévenir les crises d’épilepsie chez l’adulte et l’enfant. Malgré l’existence d’effets indésirables importants, ces médicaments sont administrés aux femmes enceintes souffrant de ce désordre neurologique. Les émissions « Info matin » et « L’heure du monde » de Radio-Canada annonçaient que plusieurs enfants seraient nés avec des malformations graves (développement, apprentissage et autisme) en raison de l’utilisation de ces médicaments par leur mère lors de leur grosesse.

 

Scandale en France

La France connait aujourd’hui un début de scandale dénoncé par le Canard enchainé. Selon l’hebdomadaire, l’Inspection générale des affaires sociales aurait relevé début 2016 l’existence du lien de causalité entre les malformations congénitales sur 405 fœtus et l’utilisation de l’anti-epileptique sur une période allant de 2006 à 2014. Plus de 10 000 femmes auraient pris ce médicament entre 2007 et 2014. Or, en 2014, l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac) donnait l’alerte contre l’utilisation de ce médicament dans ces circonstances et de son côté l’Agence Européenne du Médicament recommandait la limitation des prescriptions. Toutefois, bien que plusieurs acteurs concernés aient eu vent de l’existence de ces effets indésirables graves, les prescriptions se sont poursuivies. Une étude menée par l’Agence du médicament (ANSM) et la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAMTS), devait être rendue publique vers le mois de septembre faisant état de la situation.

 

Qu’en est-il au Canada?

Une étude datant de 2006 a permis de démontrer l’existence du lien de causalité entre l’utilisation de l’Épival et les malformations. Mais ce n’est qu’en 2011 que Santé Canada émettait un avis de mise en garde à l’égard des prescripteurs. Donc, durant la période de 2006 à 2011, les femmes enceintes ont été placées dans une zone grise d’informations concernant le médicament en question. En effet, il n’y a pas eu d’informations claires ou de mises en garde précises tant du gouvernement canadien que des médecins traitants sur les effets indésirables suite à l’utilisation du produit. Au-delà de cette période, Santé Canada assurait que, d’une part, les médecins étaient informés des risques liés à l’utilisation de ce produit pharmaceutique et, d’autre part, le site de Santé Canada et l’étiquette du médicament contenaient suffisamment d’informations pour alerter la population .

A cette affirmation, Mme Bélanger, membre du groupe Épilepsie Section Québec soulevait au contraire deux inquiétudes sur la communication de ces risques. Selon ses dires, on constate une communication très aléatoire de la part des médecins sur l’existence de tels effets. De plus, est soulignée une insuffisance dans la divulgation et la transparence des informations sur les effets indésirables des médicaments par Santé Canada.

La seconde préoccupation retiendra toute notre attention dans les prochaines lignes.

 

Comment est-on informé au Canada sur les effets indésirables résultant de la consommation de médicaments?

Plusieurs moyens juridiques pour communiquer l’existence des effets indésirables sont prévus par la Loi sur les aliments et drogues, le Règlement d’application (Règlement sur les aliments et drogues) et plusieurs lignes directrices de Santé Canada. On dénombre essentiellement trois types de moyens de communications. En premier lieu, l’étiquetage apparait comme le moyen privilégié pour informer directement le consommateur des effets indésirables car les renseignements sont portés sur l’emballage même du produit. L’étiquette est approuvée par Santé Canada lors de la demande de mise sur le marché du produit pharmaceutique. En second lieu, un ensemble d’avis de mise en garde, d’avis de retrait, de bulletins, communications émis par Santé Canada sont adressés aux professionnels de la santé et à la population décrivant la nature et la gravité des effets ainsi que les conditions de prescription. Et enfin, dernier lieu, pour atteindre le plus grand nombre de personnes intéressées, est mis en place un portail sur le site de Santé Canada consacré aux effets indésirables des médicaments : MedEffet. Nous nous penchons dès lors plus particulièrement sur ce dernier moyen tout en précisant que l’ensemble des moyens fait par ailleurs l’objet d’une analyse plus poussée dans le cadre de notre thèse de doctorat sur la gestion des risques dans le domaine des médicaments.

 

Le site MedEffet est présenté comme un site complet, comprenant la base de données des effets indésirables, l’ensemble des avis de mises en garde et de retrait, le portail pour déclarer les effets indésirables, et le programme Canada vigilance. Toutefois, il n’est pas dépourvu de critiques.

 

L’accès au site MedEffet

Il présente l’avantage d’être public et mis à jour donc d’assurer en théorie une certaine transparence. Toutefois, il est peu connu et pour y parvenir, un dédale d’icônes doit être franchi. En effet, pour parvenir au portail MedEffet, l’utilisateur doit se rendre à la rubrique «Médicaments et produits de santé » sur la page centrale de Santé Canada et ensuite aller sur l’onglet portant le nom du portail. Rendu à ce stade, il n’a pas pour autant accès directement à la base de données, il doit alors cliquer sur l’hyperlien « obtenir de nouveau renseignement sur l’innocuité des médicaments et autres produits de santé et entrer le nom du médicament. Ainsi son accès est donc réservé à des personnes utilisant quotidiennement les outils informatiques et habituées à explorer les sites ministériels.

 

Quant à son contenu

La base de données est alimentée tant par les déclarations volontaires des usagers et des professionnels de la santé que par les déclarations obligatoires de la part de l’industrie pharmaceutique sur les risques rencontrés. Ainsi, les patients et les professionnels de la santé peuvent, de leur propre initiative, faire une déclaration sur le site MedEffet décrivant l’effet indésirable subi à la suite de la consommation d’un médicament. Il n’est pas nécessaire que le lien de causalité entre l’utilisation et l’effet soit démontré, une simple présomption suffit. Il est toutefois conseiller aux usagers de faire une déclaration avec l’aide de leur médecin ou tout autre professionnel. De leur côté, les entreprises pharmaceutiques ont une obligation légale de déclarer les effets indésirables dès lors qu’elles en ont connaissance tant pour les effets survenus sur le sol canadien qu’à l’étranger. Bien que le système de déclarations soit indispensable pour comprendre et gérer les risques médicamenteux, celui-ci n’est pas pour autant dénué de critiques. En effet, la qualité du contenu des déclarations s’avère très aléatoire en raison de l’auteur selon qu’il s’agit des usagers, des professionnelles ou des compagnies pharmaceutiques. En effet, celles réalisées par les usagers sont parfois incomplètes ou comprennent des éléments qui seront inutiles pour l’analyse de l’effet indésirable. Dans certains pays de l’Union européenne, les déclarations des patients doivent être faites avec l’aide d’un professionnel de la santé, assurant ainsi la véracité et l’opportunité des informations portées à la connaissance des autorités. Par ailleurs, le nombre d’effets indésirables dénoncés par les professionnels de la santé est inférieur à celui attendu en raison du peu de temps dont ils disposent pour réaliser les déclarations. Toutefois, depuis 2014, on note une volonté de la part du gouvernement d’améliorer les conditions de déclarations. Désormais, la Loi sur les aliments et drogues modifiée par la Loi visant à protéger les canadiens et les canadiennes contre les drogues dangereuses prévoit que les établissements de santé seront tenus de déclarer les effets indésirables. Il faudra toutefois attendre le règlement d’application pour connaitre les modalités de déclarations, savoir si les établissements privés seront aussi concernés et comment et par quel acteur des services de santé les effets seront recueillis. Cette nouvelle source de déclaration permettra, d’une part, d’avoir une vision globale des effets indésirables d’un médicament sur l’ensemble des services et spécialités qui l’utilise et d’autre part, il appert que les établissements de santé sont des lieux qui encouragent une évaluation très poussée des effets indésirables lors de leur survenance.

 

Quant à sa forme

Alors qu’environ 60 % des adultes et 88 % des personnes âgées au Canada affichent un faible niveau de littératie en santé, force est de constater à quel point les informations contenues sont complexes et ne peuvent être souvent comprises que par un public spécialisé et averti. De plus, destiné à ouvrir la voie de la transparence afin que les différents acteurs prennent des décisions éclairées, le portail MedEffet ne fait pas le pont avec d’autres sites d’informations primordiaux tels que ceux détenus par les industries pharmaceutiques ou ceux entretenus par les agences internationales de pharmacovigilance, c’est à dire les institutions chargées de surveiller les conséquences (les risques – les effets indésirables) découlant de l’utilisation du médicament commercialisé et utilisé par la population « at large ».

 

Au delà des critiques dirigées vers le site MedEffet, une réflexion doit ici être menée sur la refonte générale des portails d’informations de Santé Canada concernant le médicament. En effet, pour chaque produit, il existe plusieurs sites d’information : la base de données des produits pharmaceutiques, celle pour l’enregistrement des essais cliniques, le site sur les avis de conformité, le site des effets indésirables MedEffet. Cette diversité de sources entraine la confusion chez l’utilisateur. En effet, l’usager dispose d’un certain nombre de bases de données sans toutefois connaitre la pertinence de celles qui répondront à ses besoins. A titre d’exemple, la base des données sur les produits pharmaceutiques reprend la base de données MedEffet et fait doublon avec celle-ci. Par ailleurs, chacun des portails rencontre les mêmes critiques que celles mentionnées plus haut. Notre point serait de refondre le système en ne constituant qu’une seule entrée d’informations; un seul portail comprenant toutes les données relatives au médicament à toutes les phases de son cycle de vie. Il semble à la lecture des systèmes existants dans plusieurs pays que les bases de données sont tout aussi diversifiées et éclatées. Il appert donc qu’il n’y a pas de volonté de procurer au patient une base uniforme et transparente sur les effets indésirables des médicaments. Une telle source lui permettrait de participer plus efficacement à la prise de décision et à l’élaboration ou à la réforme des politiques en la matière. Il est légitime de s’interroger sur la raison ?

Mais il s’agira d’en traiter plus longuement dans un prochain billet de blogue.

Ce contenu a été mis à jour le 20 septembre 2017 à 12 h 16 min.

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