L’imprimante 3D et le domaine de la santé : enjeux juridiques et éthiques

Par Me Jacynthe Garant-Aubry et Me Nicholas Léger-Riopel, professeur, Faculté de droit, Université de Moncton


Alors que les imprimantes 3D font tranquillement leur apparition dans nos foyers, les constructeurs développent et améliorent les procédés et la technologie de ces imprimantes depuis déjà 30 ans. Il y a donc eu plusieurs avancées depuis les dernières années dans les industries de l’aéronautique, de l’automobile, de l’armée, de la pâtisserie (!) et plus particulièrement dans le domaine de la santé. 

1. L’imprimante 3D et ses applications dans le domaine de la santé

Plusieurs applications de l’impression 3D sont utilisées par les professionnels de la santé. Les chirurgiens peuvent désormais recréer des copies identiques des os qu’ils doivent remplacer, tels que les os de la mâchoire, les os de la hanche, une partie du crâne ou même une partie de la colonne vertébrale, par des pièces composées de matériaux biocompatibles mais durables, comme le titane, la résine et le plastique. Comme chaque patient est unique, la prothèse transplantée sera parfaitement adaptée à la morphologie de ce dernier.

Par ailleurs, les concepteurs travaillent à l’application de la bio-impression qui permettrait d’obtenir des tissus vivants tels que de la peau ou du cartilage en utilisant des « cartouches » de cellules, de molécules et de protéines en lieu et place des encres. Par exemple, la bio-impression pourrait être utilisée pour fabriquer rapidement et en quantité importante des tissus de peau pour soigner les grands brûlés.

En outre, l’impression 3D permet aux chirurgiens de fabriquer des répliques d’organes de patients pour préparer les interventions complexes et se pratiquer avant les opérations pour évaluer les éléments problématiques. Cette application de l’imprimante peut également être utilisée pour l’enseignement afin que les étudiants puissent s’entraîner sur des répliques fidèles de parties du corps à opérer. L’ère des dissections sur cadavres est déjà chose du passé pour les facultés de médecine.

Enfin, depuis le début de 2016, un médicament obtenu par l’impression 3D a été commercialisé aux États-Unis, le Spritam, un antiépileptique. Ce médicament est encore fabriqué par l’industrie pharmaceutique, mais l’objectif est que l’imprimante 3D soit installée en pharmacie pour que le médicament soit produit sur place, selon la demande et le profil particulier du patient.

2. Quelques enjeux juridiques particuliers à la santé

Ces nouvelles applications de l’impression 3D soulèvent toutefois des enjeux juridiques, que ce soit relativement à la vie privée, la responsabilité pour le fait des produits ainsi que dans l’impression de médicaments. Les rapports traditionnels entre le fabricant d’un produit de santé, son distributeur, et le patient sont remaniés par les nouvelles perspectives techniques qui sont offertes par l’impression 3D. Véritable « technologie personnalisée », l’impression 3D réactualise des enjeux récurrents liés à la sécurité des produits de santé, tout en révélant sous un jour inusité des questions de vie privée et de propriété intellectuelle.

a. Vie privée

Les chirurgiens utilisent l’impression 3D pour reproduire les organes des patients afin de se pratiquer préalablement à la tenue d’opérations. Toutefois, ces répliques exactes des organes peuvent contenir des informations personnelles, telle que la maladie du patient. La question qui se pose est de savoir si les hôpitaux demandent aux patients de signer un consentement pour l’utilisation de l’impression 3D de leurs organes. Et dès que le chirurgien a terminé de faire ses tests, qu’arrive-t-il à la reproduction de l’organe? Devient-elle accessible aux étudiants, aux personnes extérieures, aux compagnies d’assurance qui pourraient l’utiliser pour moduler la teneur et la portée de polices d’assurances? Les risques éthiques et juridiques liés à la vie privée et à la notion de consentement global ou blanket consent en matière de santé existent en matière d’impression 3D de répliques du corps humain d’une personne. Ces questions font l’objet d’un corpus croissant de littérature en matière d’encadrement juridique du phénomène biobancaire et de la rechercher dite « translationnelle ». Cette littérature pourrait, en toute hypothèse, jeter un regard utile au phénomène de l’imprimante 3D en matière de santé, tout particulièrement s’agissant de la question du consentement du patient à l’utilisation, et aux réutilisations successives, de données privées.

 

b. Responsabilité pour le fait des produits

Dans l’éventualité où une prothèse provenant d’une impression en 3D pour remplacer un os de la mâchoire présenterait un défaut et entraînerait des dommages pour le patient, qui sera responsable du défaut? Le fabricant de l’imprimante, le concepteur du logiciel, le fournisseur de matériau ou le chirurgien?

Le fabricant d’imprimantes 3D vend un produit qui peut servir à créer plusieurs objets, incluant des produits médicaux. Peut-il être tenu responsable si un objet particulier n’est pas imprimé de la bonne manière?

Les professionnels de la santé qui fabriquent des types d’appareils médicaux ou qui créent de nouveaux tissus d’organes à l’aide d’imprimantes 3D peuvent-ils voir leur responsabilité civile professionnelle engagée à titre de fabricants et non plus uniquement à titre de cliniciens? Ces questions, doublées de l’inexistence de décisions des tribunaux sur la question, accentuent les risques juridiques des patients et des professionnels de la santé dont les rôles traditionnels sont marqués au flou des avancées techniques de l’imprimante 3D.

c. Vers l’impression de médicaments?

Tel que mentionné plus haut, la U.S. Food and Drug Administration a autorisé au printemps dernier l’impression 3D d’un médicament, le Spritam, utilisé comme traitement contre l’épilepsie. Le comprimé est formé par des dépôts successifs de très fines couches de poudre et minuscules gouttes d’eau. Les avantages de l’impression de ce médicament sont que les comprimés très poreux permettent une dissolution plus rapide et que le dosage peut être adapté aux besoins du patient en modifiant les instructions données à l’imprimante. Ce médicament est encore fabriqué par les laboratoires pharmaceutiques, mais sera-t-il possible de le concevoir à domicile?

Certains chimistes ont imaginé un monde dans lequel les médecins prescriraient des « encres » sous forme de cellules, de molécules et de protéines aux particuliers selon le dosage personnellement requis et ces derniers pourraient produire leurs médicaments à leur domicile. Par contre, cette vision où le grand public aurait libre accès à des molécules sans supervision de professionnels de la santé pose une série de problèmes sanitaires et d’abus de substances. Il serait plus plausible que les hôpitaux et les pharmacies soient équipés d’imprimantes 3D qui leur permettraient d’imprimer des médicaments en fonction des besoins précis des patients.

3. L’encadrement normatif de l’impression 3D: défis pratiques et juridiques

Au moment où les imprimantes 3D sont désormais accessibles au grand public, l’application de la protection de la propriété intellectuelle présente également de sérieux défis, d’autant plus que cette application des droits de propriété intellectuelle n’a pas encore fait l’objet de précisions par les tribunaux ou la législation canadienne. Le recours aux catégories juridiques existantes en matière de santé, comme l’encadrement juridique de la télémédecine, offre une solution bien approximative aux défis de l’impression 3D.

Un enjeu important de l’impression 3D identifié par les auteurs renvoie à la protection de la propriété intellectuelle. Quelle est l’incidence du droit des brevets sur le recours à l’impression 3D? La vente et l’utilisation d’objets brevetés reproduits par une imprimante 3D sont prohibées, mais qu’en est-il de l’utilisation par un individu pour son usage personnel? Comme cet usage serait dénué de but commercial, et par le fait même de profit, il pourrait être plus ardu pour le titulaire du brevet de faire respecter ses droits, d’autant plus que le détenteur du brevet doit savoir que des entreprises ou des particuliers reproduisent son invention à l’aide d’une imprimante 3D. Comment surveiller et déceler les individus qui utilisent les imprimantes 3D dans leur maison? Comment s’assurer que l’impression 3D des médicaments ne devienne pas non plus une activité lucrative pour les producteurs de drogues récréatives?

De la protection des intérêts en matière de propriété intellectuelle aux enjeux liés au droit pénal, l’imprimante 3D expose les limites d’une variété de cadres juridiques dont l’effectivité dépendra de leur adéquation aux nouvelles réalités rendues possibles par l’imprimante 3D. Les défis pour les acteurs du monde médical et les professionnels de la santé sont de taille : l’actualisation des pratiques et des cadres juridiques existant aux possibilités de l’imprimante 3D suppose d’importants aménagements tant terminologiques, conceptuels, que techniques. Par ailleurs, cette réflexion juridique ne saurait faire l’économie d’un questionnement éthique : l’impression 3D propose une technologie dont tant le niveau de personnalisation que la facilité d’accès sont nouveaux dans l’histoire médicale et en appellent à la prise en compte d’enjeux jusqu’ici inédits.

Ce contenu a été mis à jour le 11 septembre 2017 à 21 h 34 min.

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