L’inconduite sexuelle chez les professionnels de la santé et le Rapport Corte-Desrosiers: Faut-il aller plus loin que la “Loi 11”?

Par Marco Laverdière, avocat, chercheur associé de la Chaire de recherche du Canada sur la culture collaborative en droit et politiques de la santé de l’Université de Montréal, enseignant au programme de maîtrise en droit et politiques de la santé de l’Université de Sherbrooke et directeur général d’un ordre professionnel

Il y a maintenant plus de trois ans, en juin 2017, l’Assemblée nationale du Québec adoptait la “Loi 11”, soit la Loi modifiant diverses lois concernant principalement l’admission aux professions et la gouvernance du système professionnel.

Le titre de cette loi ne reflète pas l’un de ses objectifs importants, soit celui qui a consisté à revoir certains aspects du processus disciplinaire en matière d’inconduite sexuelle des professionnels. En fait, il s’agit peut-être de l’un des volets de la Loi 11 qui a été le plus remarqué dans l’opinion publique et qui a fait couler beaucoup d’encre, tant dans les médias que devant les tribunaux.

Dans le contexte de l’émergence du mouvement #MeToo, la Loi 11 a notamment eu pour effet de rehausser considérablement les sanctions en matière d’inconduite sexuelle, en introduisant une “sanction de base” de 5 ans de radiation, pouvant être ajustée à la hausse ou à la baisse suivant certaines considérations, en plus d’imposer des obligations spécifiques de formation à différents acteurs du processus disciplinaire.

Il faut dire que le Québec n’était pas particulièrement à l’avant-garde à ce chapitre, alors qu’avant la Loi 11, les radiations imposées dans les cas d’inconduite sexuelle étaient nettement plus courtes, soit par exemple, d’une durée oscillant habituellement autour de 6 à 12 mois chez les médecins. Pendant ce temps, en Ontario, on avait déjà instauré depuis le début de années 90, sous le couvert d’une “politique de tolérance zéro”, des radiations (révocation du certificat d’inscription) de 5 ans pour plusieurs cas précis d’inconduite sexuelle, dans la loi-cadre applicable aux professions de la santé (annexe 2, art. 51 5) et 72 3)).

Cela étant, doit-on considérer qu’avec la Loi 11, l’affaire est réglée en ce qui concerne la réponse du législateur et du système professionnel québécois relativement à l’inconduite sexuelle des professionnels, notamment dans le secteur de la santé?

À la lecture de récentes propositions formulées en vue d’améliorer la réponse du système judiciaire québécois à l’égard des victimes d’inconduite sexuelle et de violence conjugale et en regardant ce qui se passe dans d’autres provinces canadiennes, on pourrait penser que d’autres mesures pourraient éventuellement être considérées pour mieux soutenir les victimes de ces infractions.

Rapport Corte-Desrosiers: une source d’inspiration pour améliorer le droit professionnel

Toute personne devrait se sentir soutenue, écoutée et respectée dans son parcours d’obtention de justice et de guérison. Notre système de justice doit offrir aux victimes un environnement ainsi que des ressources d’aide adaptées à leurs besoins. Or, en tant qu’élues, nous avons dû faire le constat que ce n’est pas toujours le cas. C’est cette préoccupation, et notre volonté commune de rétablir la confiance des victimes envers le système de justice, qui nous a menées à former un comité transpartisan d’élues, accompagnées par un comité de 21 expert.e.s à l’origine de ce rapport.

Voici comment s’expriment la ministre déléguée à l’Éducation et ministre responsable de la Condition féminine, Mme Isabelle Charest, et les parlementaires Isabelle Melançon, Christine Labrie et Véronique Hivon, dans un message commun, en ouverture du Rapport du comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale publié en décembre 2020. Le comité d’experts en question était présidé par Mmes Elizabeth Corte, juge en chef à la Cour du Québec de 2009 à 2016, et Julie Desrosiers, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval (ci-après: Rapport Corte-Desrosiers).

Ce rapport, qui contient 190 recommandations, porte principalement sur la justice pénale et criminelle, mais il contient aussi des recommandations qui sont destinées à s’appliquer dans tous les domaines du droit, y compris en ce qui concerne la justice disciplinaire, qui est d’ailleurs évoquée (voir notamment le chapitre 10). Plus largement, on pourrait envisager certains aménagements du droit professionnel en vue de donner suite à ces recommandations. Voici quelques réflexions à ce sujet.

Le soutien financier pour la thérapie: pourquoi attendre la fin du processus disciplinaire?

De différentes façons, le comité d’experts Corte-Desrosiers s’intéresse au soutien psychosocial des victimes au sein du système judiciaire, en formulant des recommandations qui visent à améliorer et mieux intégrer les services disponibles à cet égard.

Que pourrait-on dire du système de justice disciplinaire québécois à ce chapitre?

S’il n’est pas impossible que certains ordres professionnels aient mis en place une structure d’accueil particulière pour les victimes d’inconduite sexuelle, au moment où elles déposent une demande d’enquête où à une autre étape du processus disciplinaire, force est de constater que le Code des professions est assez timide à ce sujet. En fait, la seule chose qui s’apparente à une mesure visant le soutien psychosocial des victimes réside à l’article 158.1 2) C.P. qui prévoit que le conseil de discipline peut recommander au Conseil d’administration que l’amende que doit payer le professionnel reconnu coupable d’une infraction d’inconduite sexuelle soit remise par l’ordre, en tout ou en partie, à la victime, pour défrayer le coût des soins thérapeutiques reliés à cet acte.

Autrement dit, la victime d’une inconduite sexuelle d’un professionnel doit attendre à la fin du processus disciplinaire pour, peut-être, si le professionnel est trouvé coupable, si le conseil de discipline en fait la recommandation et si le Conseil d’administration de l’ordre concerné est d’accord, obtenir un certain soutien financier relativement à ses besoins de soins thérapeutiques. D’ailleurs, actuellement, la formulation d’une recommandation sous l’article 158.1 2) C.P. ne semble pas être systématique dans les cas d’inconduite sexuelle et il n’est pas certain que ce soit parce que les victimes n’ont pas eu – ou n’auront pas ultérieurement – besoin de services thérapeutiques relativement aux événements qu’elles ont vécus.

Bien sûr, on pourrait dire que l’objectif du processus disciplinaire n’est pas l’indemnisation ou la réparation du préjudice. Mais pour autant, d’autres provinces, comme l’Ontario en 2017 et l’Alberta en 2020, ont rendu obligatoire pour les ordres professionnels de constituer un programme de remboursement des frais de thérapie pour les victimes d’inconduite sexuelle. Les bénéfices de ces programmes sont accessibles très rapidement de façon systématique, suivant différentes éventualités, sans devoir attendre l’issue souvent incertaine du processus disciplinaire

Ainsi, voici comment le College of Physicians and Surgeons of Ontario explique les conditions d’accès au programme en question, qui donne droit à des fonds pouvant aller jusqu’à 16 000$:

To qualify, you need to meet one of these criteria

1. You have made a complaint to the College (or someone has made a report to the College) of sexual abuse.  

2. Our Discipline Committee agreed that you were sexually abused.

3. The doctor admits to the College that they sexually abused you.

4. The doctor is convicted under the Criminal Code of Canada of sexually assaulting you.

5. A College Committee makes a statement following a hearing that you were sexually abused.

6. There is evidence to support a reasonable belief that a doctor sexually abused you.

En somme, il suffit pour la victime de satisfaire à l’une ou l’autre de ces conditions, que ce soit dès le dépôt de la plainte (demande d’enquête), voire même sans qu’elle ait eu à déposer une plainte contre le professionnel en question. Le remboursement des frais de thérapie déjà encourus avant la déclaration d’admissibilité est permis et plusieurs autres conditions et modalités visent à faciliter l’accessibilité aux bénéfices de ce programme pour les victimes.

À certains égards, l’approche albertaine semble un peu plus restrictive que l’approche ontarienne, mais elle est en fait nettement plus favorable aux victimes que celle du Québec, notamment au chapitre de l’accessibilité du soutien financier dès le dépôt de la plainte (demande d’enquête) auprès de l’ordre professionnel.

Bref, voilà une façon par laquelle le législateur québécois pourrait s’assurer que les victimes d’inconduite sexuelle des professionnels soient mieux soutenues dans le cadre du processus disciplinaire, plutôt que de miser sur l’approche timorée et assez incertaine de l’actuel article 158.1 2) C.P. Bien sûr, dans le contexte québécois, d’autres avenues pourraient être considérées, comme un possible élargissement de la portée de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels pour couvrir les victimes d’une infraction disciplinaire en matière d’inconduite sexuelle. Toutefois, le Projet de loi 84 actuellement à l’étude n’indique pas qu’une telle solution soit envisagée.

Faut-il un tribunal spécialisé ou vaut-il mieux adapter la procédure disciplinaire?

L’une des recommandations fortes du comité d’experts Corte-Desrosiers est la constitution, au sein de la Cour du Québec, d’un tribunal spécialisé en matière d’agressions sexuelles et de violence conjugale, pour mieux assurer l’accompagnement, le soutien et la sécurité de la victime, en offrant des services intégrés et en favorisant la coordination judiciaire (recommandation 156). Il n’est pas encore certain que cette recommandation sera suivie, mais le ministre de la Justice, M. Simon Jolin-Barrette, a déjà constitué un groupe de travail afin d’approfondir la question.

Une telle mesure devrait-elle être considérée en matière de justice disciplinaire pour les professionnels? Devrait-on ainsi mettre de côté le “jugement des pairs par les pairs” au sein de conseils de discipline dans ces situations, sachant que, contrairement aux infractions disciplinaires qui concernent les aspects cliniques ou pratiques de la profession, l’appréciation d’une infraction d’inconduite sexuelle ne requière pas toujours une expertise particulière dans la discipline professionnelle concernée?

C’était à tout le moins l’une des recommandations formulées en 2016 par le Groupe d’étude ministériel ontarien sur la prévention des agressions sexuelles envers les patients et la Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées. Ce Groupe d’étude recommandait en fait que le traitement des plaintes du public et les enquêtes en matière d’inconduite sexuelle soient confiés à un organe spécialisé, à l’extérieur des ordres professionnels, et qu’un tribunal spécialisé soit également constitué pour rendre des décisions indépendantes concernant les cas soumis par cet organe spécialisé (recommandations 4 et 8).

S’appuyant sur une recension de différentes défaillances observées dans le traitement des plaintes pour inconduite sexuelle par les ordres professionnels ontariens, le Groupe d’étude a justifié en ces termes sa recommandation à cet égard (p. 78 du rapport):

Can Self-Regulation Achieve Zero Tolerance of Sexual Abuse?

Each college is a concentrated repository for the specialized knowledge of its health profession. It is this base of expertise around health-related issues common to its profession that should have made the colleges well-suited to regulate the practices of their members while upholding patient safety in the public interest. As discussed in the recommendations made by this task force, sexual abuse of patients is an exception. The highly trained expertise of the health practitioner who serves as a college member does not necessarily extend to an adequate knowledge base and expertise in the complex realm of sexual abuse. This has been demonstrated in some of the more recent decisions by colleges – for example, those allowing doctors to return to practise with only « gender restrictions. »

Le législateur ontarien n’a pas retenu ces recommandations dans le cadre de la réforme qu’il a introduite en 2017 sur la base de ce rapport, ayant plutôt opté pour d’autres mesures visant à resserrer de façon importante le processus disciplinaire relatif à l’inconduite sexuelle des professionnels, au chapitre des sanctions et de la transparence notamment.

Sans nécessairement emprunter la voie de la création d’un tribunal spécialisé pour les infractions d’inconduite sexuelle chez les professionnels, le législateur québécois pourrait toutefois s’inspirer d’autres mesures recommandées dans le Rapport Corte-Desrosiers en vue de faciliter le parcours des victimes dans le système disciplinaire. Les autrices du rapport en question évoquent même le cas des conseils de discipline des ordres professionnels, en s’exprimant comme suit (p. 166-167):

Nous l’avons amplement démontré […], les personnes victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale ne se retrouvent pas uniquement devant les cours de juridiction criminelle, mais devant une importante variété de tribunaux. Nous avons déjà évoqué le passage devant les autres chambres de la Cour du Québec (Chambre de la Jeunesse, Chambre civile), devant la Cour supérieure (pour les litiges de droit familial) et devant la CNESST ou le Tribunal administratif du travail (pour les litiges en droit du travail). Il existe également d’autres forums que nous n’avons pas mentionnés, mais qui pourraient exiger le témoignage de la personne victime, ou encore l’obliger d’une manière ou d’une autre à se trouver en présence de son agresseur. Nous pensons par exemple à la Commission d’examen des troubles mentaux, ou encore à une plainte devant un ordre professionnel, qui pourrait aboutir au Tribunal des professions. Ces exemples ne sont pas exhaustifs.

Les mesures envisagées par le comité d’experts concernent de façon spécifique la préparation au témoignage (recommandation 143), les salles d’attente séparées (recommandation 144) et les mesures d’aide au témoignage (recommandation 145).

À cela, on pourrait ajouter qu’il y aurait lieu de considérer une mesure semblable à celle que l’Ontario a instauré en matière d’inconduite sexuelle dans la loi-cadre applicable aux professions de la santé (annexe 2, art. 51 6)), qui s’apparente à une “déclaration de la victime” (victim impact statement) que l’on retrouve en droit criminel. Ainsi, en Ontario, avant de rendre une décision sur sanction, un conseil de discipline doit tenir “compte de toute déclaration écrite décrivant les effets des mauvais traitements d’ordre sexuel sur le patient qui a été déposée ainsi que de toute déclaration orale qui a été faite […] à ce sujet.”.

Bien sûr, déjà maintenant au Québec, les conseils de discipline doivent prendre en compte la gravité de l’infraction au moment de la détermination de la sanction suivant l’article 156 C.P. et sont ainsi amenés à tenir compte de l’impact de l’infraction sur la victime. Toutefois, le fait de formaliser ce processus et de donner une occasion spécifique et solennelle pour que la victime puisse s’exprimer à ce sujet, dans une déclaration écrite ou oralement, pourrait contribuer à ce que cette dernière sente davantage qu’elle a eu une véritable occasion d’être entendue par le système de justice disciplinaire. C’est d’ailleurs pourquoi on retrouve le processus de déclaration de la victime inscrit au Code criminel (art. 722) et qu’il a également été intégré, en 2015, dans la Charte canadienne des droits des victimes (art. 15).

Les exigences réglementaires en matière d’assurance responsabilité professionnelle sont-elles suffisantes pour garantir l’indemnisation des victimes?

Dans le cadre du Rapport Corte-Desrosiers, la question de l’indemnisation des victimes d’agressions sexuelles a surtout été abordée sous l’angle d’une éventuelle révision de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels (recommandation 142). Il s’agirait de faciliter cette indemnisation, en éliminant certains obstacles, notamment en révisant la liste des infractions admissibles et la notion de faute lourde, en allongeant le délai de prescription de 2 ans et en couvrant les victimes de crimes commis hors Québec. Le Projet de loi 84, actuellement à l’étude, vise notamment à donner suite à cette recommandation.

La question des recours en responsabilité civile n’a pas retenu l’attention du comité d’experts, vraisemblablement par ce que  le Projet de loi 55, adopté en juin 2020 par l’Assemblée nationale, avait déjà réglé un problème important, Ainsi, suivant l’adoption de ce projet de loi, le Code civil du Québec a été modifié de façon à “rendre imprescriptible l’action en réparation du préjudice corporel résultant d’un acte pouvant constituer une infraction criminelle lorsque le préjudice résulte d’une agression à caractère sexuel, de la violence subie pendant l’enfance ou de la violence d’un conjoint ou d’un ancien conjoint”.

Ces initiatives législatives indiquent une certaine volonté du législateur québécois d’éliminer le plus possible les obstacles dans le parcours de la victime qui souhaite obtenir une indemnisation relativement au préjudice résultant d’une agression sexuelle ou à une situation de violence conjugale.

En ce qui concerne le droit professionnel, comme on l’a déjà souligné, son objectif principal n’est pas de procurer une indemnisation aux victimes d’une infraction disciplinaire, mais bien d’assurer la protection du public. Pour autant, le droit professionnel s’intéresse malgré tout à l’indemnisation, de différentes façons.

Ainsi, suivant le Code des professions et les règlements adoptés par les ordres professionnels, il est généralement exigé que les professionnels détiennent une couverture d’assurance responsabilité professionnelle pour être autorisés à exercer leur profession, Il ne s’agit évidemment pas ici de protéger le patrimoine de ces professionnels, mais bien de faire en sorte que, s’ils devaient causer éventuellement un préjudice à un patient ou à un client par leur faute, ce dernier pourrait trouver un débiteur solvable aux fins de l’indemnisation qui lui serait accordée par les tribunaux.

Or, les couvertures d’assurance responsabilité professionnelle ne sont pas sans limites. C’est notamment le cas lorsqu’il est question de préjudices qui résultent non pas de l’activité clinique ou pratique elle-même, mais plutôt d’une faute d’inconduite ou de comportement qui intervient en lien avec la relation professionnelle.

Un jugement rendu en 2016 par la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, sous la plume de la juge Tracey K. DeWare, dans l’affaire Shannon c. Association canadienne de protection médicale (2016 NBBR 4 (CanLII), illustre bien les limites en question. Cette affaire concernait un cas d’inconduite sexuelle commise par un psychiatre, exilé au Royaume-Uni, et qui était donc difficilement accessible pour donner suite à un jugement civil lui ordonnant de payer 500 000$ à la victime. Pour obtenir cette indemnité, la victime a alors entrepris une action en justice contre l’Association canadienne de protection médicale (ACPM), une “mutuelle de protection” pour les médecins qui leur procure l’équivalent d’’une couverture d’assurance responsabilité.

Parmi les différentes raisons qui ont conduit la juge Deware à conclure que l’ACPM n’est pas tenue d’indemniser Mme Shannon, il y a les explications avancées par un expert à l’effet qu’aucune police d’assurance responsabilité professionnelle couvrant les préjudices résultant de l’inconduite sexuelle n’est disponible au Canada. Voici un extrait pertinent des propos de l’expert en question:

De l’avis de [l’expert,] M. Gelston, à l’heure actuelle, il n’est pas possible pour un médecin de souscrire au Canada une police d’assurance responsabilité civile professionnelle susceptible de le protéger contre les préjudices découlant d’actes d’inconduite sexuelle que ce médecin pourrait avoir commis contre l’un de ses patients. Lors de son contre-interrogatoire, M. Gelston a admis qu’il était peut-être techniquement possible de souscrire à l’étranger une assurance susceptible de prendre en charge les dommages-intérêts qu’un médecin pourrait être condamné à verser en cas d’abus sexuels commis contre l’un de ses patients. Toutefois, il a souligné que les primes d’assurance seraient exorbitantes et qu’il pourrait être problématique d’obtenir un paiement d’assureurs qui ne sont ni réglementés au Canada, ni soumis au droit canadien.


[…]


Cela fait des centaines d’années que les polices d’assurance responsabilité renferment des exclusions concernant les actes criminels et les actes délibérés.

Voilà qui illustre bien le fossé entre, d’une part, ce qu’on pourrait appeler une certaine “logique assurancielle”, suivant laquelle les actes criminels ou « délibérés » ou, encore, les fautes intentionnelles, ne sont pas couverts, et, d‘autre part, les impératifs de protection du public du droit professionnel. Cette situation ne relève pas d’une particularité propre au Nouveau-Brunswick, puisqu’au Québec également, en raison notamment de l’article 2464 du Code civil du Québec et des règlements adoptés par les ordres qui prévoient que les exclusions généralement admises en assurance responsabilité professionnelle peuvent prévaloir, il pourrait arriver que des actes délibérés ou intentionnels, comme l’inconduite sexuelle, ne soient pas couverts et que l’accès à l’indemnisation du préjudice pour la victime soit compromis.

Ne pourrait-on pas ici envisager que, suivant des modifications aux dispositions législatives et réglementaires en question, on établisse que les exclusions prévues par les contrats d’assurance responsabilité professionnelle ne soient pas opposables aux victimes d’inconduite sexuelle, mais uniquement aux professionnels, comme c’est déjà le cas, suivant la réglementation des ordres professionnels, pour les préjudices résultant de fautes commises sous l’influence de l’alcool ou de drogues? Il en résulterait que les victimes bénéficieraient ainsi de la protection prévue, alors que les professionnels pourraient, eux, se voir refuser le bénéfice de cette protection et avoir à rembourser l’assureur qui aurait été tenu de verser l’indemnisation.

Conclusion

Comme le système judiciaire et d’autres institutions publiques et privées, le système professionnel québécois fait régulièrement face à des remises en question et contestations, notamment en ce qui concerne le traitement réservé aux victimes d’inconduite sexuelle. Dans ce contexte, pour éviter que la confiance du public envers ce système soit à nouveau ébranlée sur cette question, comme elle l’avait été avant l’adoption de la Loi 11, peut-être y aurait-il lieu de se saisir de l’occasion offerte par le Rapport Corte-Desrosiers pour identifier et proposer les mesures qui permettraient de mieux soutenir les victimes d’une inconduite sexuelle commise par un professionnel.

Ce contenu a été mis à jour le 18 mars 2021 à 14 h 56 min.

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