Rien n’est plus certain que la mort ? Nihil morte certius

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À propos de «l’affaire Lambert» et de la décision rendue par la Cour Européenne des droits de l’Homme  

Par François Vialla

« Les hommes n’ayant pu guérir  la mort, la misère et l’ignorance

se sont avisés pour se rendre heureux de n’y point penser »

Pascal, Pensées IV, 5

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Avec l’aimable autorisation de SEILER

Ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Lambert ébranle la société française depuis plusieurs mois. La situation exceptionnelle de ce patient est sortie du strict cadre hospitalier et familial et les débats médiatiques se sont rapidement transportés devant les juridictions internes, puis devant le Cour Européenne des Droits de l’Homme.

En 2008 Vincent Lambert est victime d’un accident de la circulation. Il est depuis lors tétraplégique et en état neurovégétatif, il est hydraté et alimenté de manière artificielle. Après plusieurs années de prise en soins, un arrêt de ces suppléances vitales est envisagé et sera contesté en justice (TA Châlons-en-Champagne, 11 mai 2013, n° 1300740 ; TA Châlons-en-Champagne, 16 janvier 2014, n° 1400029 ; CE, 14 février 2014, n° 375081; CE 24 juin 2014,n° 375081 ; CEDH, gde ch., 5 juin 2015, n° 46043/14, Lambert et autres c/ France). L’affaire Lambert, médiatiquement surexposée, devient emblématique et est instrumentalisée, tant par les tenants de l’euthanasie que par ses plus farouches opposants. Le ‘‘cas’’ préoccupe aussi fortement médecins et juristes. Amorcée avec des décisions du Tribunal Administratif de Châlons-en-Champagne puis du Conseil d’État, l’affaire Lambert se poursuit devant la grande chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Si la question centrale demeure de lege lata celle de la licéité d’une décision médicale d’arrêt de traitements de maintien en vie, envisagée à la lumière de la loi du 22 avril 2005 (LOI n° 2005-370 dite Loi Léonetti) et des articles de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, les interrogations soulevées dépassent ce strict cadre. Les réflexions de lege ferenda doivent envisager l’arrêt de la Cour EDH au prisme de l’évolution annoncée du cadre législatif français.

 

UN CONTEXTE EXCEPTIONNEL

La médecine contemporaine est confrontée à des injonctions paradoxales qu’elle a contribué à créer. Les progrès réalisés permettent, en effet, d’accroître l’espérance de vie, mais nous conduisent à être confrontés à des souffrances qui, autrefois, disparaissaient dans une mort précoce. Dans le contexte français cela conduit à une médicalisation et une hospitalisation des derniers moments d’une existence.

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Avec l’aimable autorisation de SEILER

Le corps social demande, donc, à la médecine de prolonger la vie autonome, mais il sollicite aussi paradoxalement la possibilité d’un abrègement médicalisé de certaines situations, rapidement qualifiées d’attentatoire à la dignité.

Ce n’est pas tant la mort qui est redoutée que ‘‘le mourir’’ ou ‘‘l’avoir à mourir’’ qui sont dès lors délégués à une médecine de performance.

« Je veux bien être mort, mais je ne veux pas mourir ! Ou plutôt, je veux bien mourir, mais je ne veux pas avoir à mourir. (…) Aujourd’hui, un  médiateur, en revanche, occupe tout l’espace, la médecine. Et c’est à ce moment qu’elle propose une réponse pragmatique. La mort lui est désormais déléguée : ‘‘ je m’occupe de tout. N’ayez pas peur, je sais faire. Je la retarderai ou je l’avancerai en fonction de vos désirs ’’ ».

Sicard  D., L’alibi éthique, Plon septembre 2006, p.191

« Je vous en prie ! Je vous en prie ! (…) Je vous en prie ! assez parlé de la mort ! N’y pensons même plus ! »

Soljenitsyne, Le pavillon des cancéreux, chapitre 11, « Le cancer du bouleau », Pocket, p. 205

 

L’affaire Lambert s’inscrit dans ce contexte mais elle le dépasse et pose un ensemble de questionnements au confluent de la médecine, de l’éthique et du droit. Vincent Lambert, en effet, n’est pas à proprement parler en fin de vie. Lourdement handicapé il est en état de vigilance minimale, en situation de coma pauci relationnel, voire d’état végétatif. Des suppléances vitales, nutrition et hydratation, maintiennent artificiellement sa vie. La réflexion engagée au sein de l’équipe médicale, quant à un arrêt des suppléances vitales, va révéler un conflit familial qui conduira à la saisine des juridictions administratives françaises (dans le cadre d’une procédure de référé liberté ) puis de la Cour EDH.

En arrière plan de la situation de Vincent Lambert ce sont donc les questions de l’euthanasie, de l’assistance au suicide, du suicide assisté qui sont posées, quant bien même la Cour EDH tentent de circonscrire le débat à la seule problématique de l’arrêt des suppléances vitales.

 

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UNE DÉCISION PRUDENTE VOIRE TIMORÉE ?

Dans une décisions très procédurale la Cour EDH se distingue avant tout par sa grande prudence et semble refuser de marquer de son empreinte une question de Société. L’unanimité est loin d’être obtenue puisque cinq des membres de la Cour vont valoir une opinion en partie dissidente.

La Cour se livre longuement à une étude de la recevabilité de l’action avant d’aborder l’affaire au fond.

Ayant procédé à un double contrôle de conventionalité et de légalité le Conseil d’Etat avait validé la décision médicale d’arrêt des suppléances vitales. Le maintien des traitements étaient considérés comme révélant un obstination déraisonnable. La Cour EDH, dans son arrêt du 5 juin 2015, considère que la position adoptée par la haute juridiction administrative doit être  approuvée. L’abord réalisé par la Cour EDH est axé sur les stipulations de l’Article 2 de la Convention là où sa jurisprudence antérieure sur les questions de fin de vie  était davantage ancrée dans le champ de l’article 8 :

Article 2 – Droit à la vie

Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire:

  1. pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale;
  2. pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue;
  3. pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection.

Article 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale

Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

La Cour rappelle que l’article 2 de la Convention « impose à l’État l’obli­gation non seulement de s’abstenir de donner la mort “intentionnellement” (obli­gations négatives), mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (obligations positives) ».

Dans cette décision prudente et très procédurale, la Cour des droits de l’homme  se livre à un contrôle mesuré et se retranche derrière le principe de subsidiarité et la marge d’appréciation des Etats. Elle opère un examen précis mais limité de la décision rendue par le Conseil d’Etat. Elle étudie successivement la conventionalité du cadre législatif français (§150 à 160) et son ‘‘applicabilité’’ à la situation d’un patient qui n’est pas stricto sensu en fin de vie. Elle aborde, ensuite, le processus décisionnel (§161 à 168) et envisage, enfin, les recours juridictionnels ouverts aux requérants (§169 à 180).

Loin de marquer le terme de cette affaire, l’arrêt rendu apparaît paradoxalement avoir relancé le débat qui désormais se déplace sur le terrain des juridictions de l’ordre judiciaire.

 

UN AVENIR INCERTAIN

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Si la Cour conclut à l’absence de violation de la Convention EDH en cas de mise en œuvre de la décision médicale d’arrêt de traitement, l’équipe a préféré reprendre le processus décisionnel et, notamment, la procédure collégiale et la consultation de la famille. Ce nouveau processus décisionnel a finalement  été interrompu. L’équipe médicale a, en effet, estimé que les conditions de sérénités nécessaires à une prise de décision n’étaient pas remplies.

L’incertitude qui plane sur la pérennité de la décision de la Cour EDH est accrue par le fait qu’une proposition de loi est actuellement en discussion devant le Parlement français (PPL créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie). Ce texte, s’il est affiché comme s’inscrivant dans la continuité de la loi éponyme de 2005, n’en contient pas moins un certains nombre de dispositifs nouveaux. C’est, notamment, la possibilité d’une « sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt des traitements de maintien en vie » qui interroge.

Si ce texte ne devrait pas remettre en cause la position de la Cour EDH qui se retranche derrière la marge d’appréciation reconnue aux Etats, il conduit toutefois à se demander quelle serait l’analyse des juridictions internes si elle devaient se livrer à un contrôle de conventionnalité au prisme des articles de la Convention de 1950. Assurément le texte en cours d’adoption n’envisage pas la possibilité d’un ‘‘acte médicalisé d’arrêt de vie’’, mais le soulagement des souffrances, en associant arrêt de traitements, sédation et analgésie, suscite des interrogations.

On sait, par ailleurs, que le médecin chef du service dans lequel Vincent Lambert est pris en soin a saisi le procureur de la République afin que le patient bénéficie d’une mesure de protection des majeurs. Or la décision d’ouverture d’une tutelle relève de la compétence de l’autorité judiciaire. L’affaire se transpose donc de la sphère administrative à la sphère judiciaire. On doit cependant souligner que loin de régler les problèmes soulevés, une telle mesure conduit à soulever de nouveau questionnements. Qui le juge des tutelles doit-il désigner comme tuteur dans un contexte de déchirement familial. Qui est habilité à prendre une décision d’arrêt de traitements vitaux pour une personne protégée ?

 

LE SIGNE D’INCOMPRÉHENSIONS RÉCIPROQUES

L’enseignement principal de l’affaire Lambert se situe probablement dans l’incompréhension révélée entre soignants et juristes. On se souviendra qu’à l’issue des premières décisions rendues de nombreuses voix se sont élevées pour critiquer le fait que des magistrats puissent prendre une décision médicale. Les juristes considéraient, quant à eux, que loin de prendre la décision, les juges remplissaient leur mission en contrôlant la légalité de la décision prise par le médecin en charge du patient.

Le paradoxe est complet lorsque le médecin demande l’ouverture d’une mesure de tutelle puisqu’il souhaite implicitement se décharger de la décision. La lecture combinées des articles du Code civil et du Code de la Santé Publique conduit en effet à considérer que la décision d’arrêt de traitement nécessite l’autorisation… du juge des tutelles !

Cette affaire dépasse largement le strict cadre procédural et les débats juridiques sur la fin de vie. Elle nous interroge sur les ‘‘situations frontières’’  d’arrêt de traitements vitaux pour des personnes qui,  sans être en fin de vie,  sont lourdement handicapées et privée de la possibilité d’exprimer leur volonté. Plus spécifiquement, soignants, juristes et citoyens sont appelés à se questionner sur le rôle du droit qui est impuissant à régler l’ensemble des questions de Société.

This content has been updated on 15 September 2015 at 14 h 00 min.

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