Nouveau billet de blogue de la Chaire: Que faut-il améliorer pour un meilleur système de santé?

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Par Jean-Philippe Chenevert, avocat et doctorant en droit à l’Université de Montréal

* L’auteur tient à remercier les réviseurs pour leurs commentaires et suggestions qui ont permis d’améliorer substantiellement le présent texte.


Le système de santé québécois peut-il s’améliorer? Il semble qu’il ne peut y avoir un seul article de journal (le Devoir, LaPressePlus, ou plus récemment LaPresse), un seul communiqué de presse ministériel sans qu’il ne soit question de l’amélioration du système de santé québécois. Nul n’est contre la vertu et chacun peut convenir que l’amélioration est préférable à son contraire.

 

D’ailleurs, le rapport du Commissaire à la santé et au bien-être « Perceptions et expériences de la population : le Québec comparé – Résultats de l’enquête internationale sur les politiques de santé du Commonwealth Fund de 2016 » montre que l’opinion des Québécois sur le système de santé demeure au plus bas. Seul 22% des Québécois (18 ans+) et 24% des médecins pensent que le système fonctionne « assez bien ». Dans ce même rapport, le Québec souffre de la comparaison avec les différentes juridictions évaluées, tant canadiennes, qu’étrangères sur nombre d’indicateurs. Il convient de souligner, toutefois, que l’information au rapport ne permet pas de corréler effectivement la mauvaise opinion des québécois et les résultats disponibles sur les indicateurs évalués.

 

Parmi les nombreux faits saillants du rapport, choisissons-en quelques-uns pour bien illustrer notre propos : Avec un écart de 27 points par rapport à la moyenne des pays évalués (Suède, É-U, Suisse, France, R-U, Norvège, Australie, N-Z, Pays-Bas), le Québec (73%) fait piètre figure au sein du Canada (84%) ou comparé à son voisin ontarien (92%) pour l’accès aux services de première ligne. Seule la Suède (67%) affiche des résultats inférieurs. La situation serait pire pour les services spécialisés, le Québec arrivant bon dernier avec 33 points d’écart par rapport à la moyenne.

 

Le Québec arrive également bon dernier pour l’utilisation des urgences avec 22 points d’écart. En effet, avec 44% des adultes ayant attendu plus de 5 heures lors de leur dernière visite aux urgences, le Québec fait bande à part et ce, même au sein du Canada (20%) qui affiche pourtant la pire performance pour cette sous-catégorie. À titre indicatif, les Pays-Bas sont à 3%, l’Allemagne à 1% et la France à 0%!

 

À moins d’expliquer ces résultats par une distinction québécoise fondamentale, ceux-ci nous permettent de croire qu’une amélioration est possible, du moins à l’égard de la moyenne canadienne. Or, suffirait-il d’améliorer ces quelques indicateurs pour améliorer le système de santé?

 

L’amélioration se résume trop souvent à l’atteinte d’une cible pour un indicateur dont la mesure est relativement simple : pourcentage de la population ayant un médecin de famille; temps d’attente pour les chirurgies genoux-hanches-cataractes; temps d’attente moyen aux urgences; etc. En contrepartie, l’absence de progrès suffisant sur ces aspects fait les choux gras des médias et de quelques laboratoires d’idées (« think-tanks »), légitimant des positions plus radicales, comme la privatisation.

 

D’entrée de jeu, il me faut mentionner que mon objectif n’est pas de critiquer ces indicateurs en soi. Bien que des failles, ou limites, aient été soulevées, par exemple dans LaPresse (1, 2 et 3) ou encore par le groupe CIRANO, je reconnais d’emblée leur intérêt, ne serait-ce que pour faciliter la comparaison internationale puisque ces indicateurs sont partagés par différents pays. Je souhaite plutôt ramener le débat sur les questions sous-jacentes à l’amélioration prise globalement (coûts, efficience, qualité, pertinence, santé publique), de surcroît dans un contexte où l’on cherche à freiner la croissance des dépenses.

 

Bien que souhaitable, l’amélioration d’un système complexe repose sur un ensemble de questions qu’il serait impossible de traiter entièrement dans le présent billet. Quoi? Qui? Où? Quand? Comment? Combien? Pourquoi?

 

QUOI? Que faut-il améliorer pour maintenir la population en santé et lui offrir des services de qualité à moindre coût? Cette question primordiale peut être découpée en deux parties : que souhaitons-nous améliorer et, incidemment, quels changements seraient nécessaires ou souhaitables pour y parvenir? Si la réflexion n’est pas approfondie sur cette question, on pourrait argumenter que le reste importe peu.

 

Que voulons-nous améliorer?

Tout! Bien sûr, mais dans un contexte de ressources limitées, il est nécessaire d’établir des priorités. Les choix que cela implique mettent en concurrence des valeurs (ex : curatif vs préventif), des considérations politiques (ex : améliorations mesurables à court terme) et des considérations économiques (ex : coûts-bénéfices).

 

La recherche d’un certain consensus sur les principaux axes d’amélioration prend alors tout son sens. À ce titre, des recherches comme celle menée par la chercheure Marie-Hélène Jobin du Pôle Santé HEC, dont les résultats ont récemment fait l’objet du rapport « Des idées en santé pour le Québec  » peuvent nous éclairer. On y dégage 6 propositions de solutions faisant plus ou moins consensus entre la population, les acteurs et des experts du réseau de santé (p.7) :

 

  • Une livraison plurielle des services de santé sous certaines conditions
  • Une gouvernance clinique fondée sur les données probantes
  • Un rôle accru des professionnels, infirmières et pharmaciens
  • Une meilleure coordination intra et inter-établissements
  • Une plus grande utilisation des technologies de l’information
  • Un plus grand support aux programmes de prévention et de promotion de la santé

 

Ces propositions transcendent les symptômes de dysfonctionnement que sont le temps d’attente dans les urgences et le taux d’inscription à un médecin de famille. Elles illustrent qu’il est possible d’atteindre un consensus sur les changements à apporter pour s’attaquer aux sources des problèmes et donner aux citoyens le système de santé qu’ils souhaitent.

 

Il ressort aussi très clairement de cette vaste consultation menée en trois temps que, tant les citoyens que les acteurs du réseau, souhaitent renverser la dynamique et remettre les citoyens et les acteurs locaux aux commandes de leurs choix de santé. Pour ce faire, le citoyen doit pouvoir exercer une décision éclairée et avoir des choix dans sa consommation et le financement de ses soins et services de santé. Nous devons aussi décentraliser des lieux de décision, de coordination et de prestation des services.

 

D’aucuns pourraient noter qu’une telle conclusion laisse paraître les préférences idéologiques des auteurs… Il demeure que dans l’ensemble ces propositions qui concordent avec les données probantes disponibles, semblent effectivement refléter l’opinion populaire. Reçoivent-elles alors l’attention qu’elles méritent de la part des décideurs politiques? Nous sommes contraints d’en douter. On alléguait récemment ici que les dernières réformes avaient pour effet de « saboter » le système de santé. L’inefficacité qui découle de la centralisation commandée par l’actuel ministre ferait fomenter chez la population un grand mécontentement et un désir de changement conséquent, ouvrant ainsi la voie au secteur privé. Quel que soit le mérite de cette théorie et la légitimité de ces craintes, les décideurs se doivent de prêter attention lorsque des propositions auxquels les experts adhèrent font relativement consensus au sein du réseau concerné et de la population.

 

Or, lors des consultations entourant l’adoption du Projet de loi n°10 « Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales », de nombreux experts et acteurs du système de santé ont adressé, en vain, des mises en garde portant spécifiquement sur certaines de ces propositions. L’ensemble des mesures du Projet de loi était remis en question : fusions, centralisation des pouvoirs, gouvernance. La direction du Projet de loi suscitait des craintes. Pour s’en convaincre, nous pouvons notamment lire les mémoires de Contandriopoulos et al., de l’AQESSS, ou encore celui du Département d’administration de la santé de l’Université de Montréal (maintenant nommé Département de gestion, d’évaluation et de politique de santé) où l’on peut lire :

 

Les professeurs du département d’administration de la santé de l’École de santé publique de l’Université de Montréal signataires de ce mémoire sont d’accord avec les objectifs poursuivis par le projet de loi. Toutefois, ils questionnent sérieusement l’efficacité des mesures qui y sont proposées. Ils sont d’avis qu’il existe peu ou pas de données probantes à l’appui de ces mesures. Au contraire, les connaissances scientifiques actuelles permettent de croire que ces mesures vont amplifier et non réduire l’importance des problèmes ciblés par le projet de loi. Les données probantes semblent favoriser une réforme du système de santé qui va dans une direction très différente, voire opposée à celle suggérée.

 

Sur la base de telles opinions et constats, il est permis de croire que nous ne mettons pas les efforts là où ils seraient les plus à même d’entraîner une amélioration durable du système. Nous devrions donc demeurer sceptiques devant l’amélioration de certains indicateurs pointus, comme par exemple le temps d’attente pour quelques chirurgies spécifiques.

 

En effet, dans la mesure où les solutions actuelles aux maux systémiques sont contraires aux données probantes, il est légitime de croire que les acteurs seront amenés à jouer le système d’évaluation (« gaming ») pour présenter les meilleurs résultats possibles sur les seuls indicateurs mesurés. Il est alors à prévoir que le système sera voué à continuellement chercher à améliorer les indicateurs imposés, sans que cela ne se traduise en une amélioration ressentie par la population. Une telle démarche ne peut que se répercuter dans le maintien de l’insatisfaction de la population et des principaux acteurs du réseau.

 

Or, l’insatisfaction est dangereuse pour un système de santé public; elle en érode la légitimité et en mine la pérennité. Mais voilà un tout autre sujet…

 

Je concède volontiers le cynisme de cette conclusion, mais j’avance toutefois qu’il ne doit pas nécessairement en être ainsi. Du moment où l’on identifie un certain nombre de propositions de solutions plus ou moins consensuelles, nous sommes à même d’entreprendre un changement prometteur. Alors seulement viendront les autres questions : Qui, quelle instance, devrait être responsable? Jusqu’où agréger ou désagréger nos évaluations (établissement, installation, service, programme, etc.); Comment contrôler la performance et selon quelle approche (dissuasion, collaboration, etc.)? Mais aussi, quels indicateurs et quelles cibles choisir?

This content has been updated on 4 October 2018 at 11 h 01 min.

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