Nouveau billet de blogue de la Chaire: Quel avenir pour les soins aux aînés?

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Par Patrick Garon-Sayegh, candidat au doctorat à l’Université de Toronto


La qualité des soins et services prodigués aux ainés est un enjeu d’actualité majeur pour le système de santé. L’Association médicale canadienne (AMC) a récemment annoncé que selon une nouvelle étude, les investissements fédéraux en soins aux aînés devront être augmentés de 21 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie dû au vieillissement de la population. L’annonce de l’AMC coïncide avec un remaniement du cabinet fédéral, au sein duquel un nouveau portfolio ministériel vient d’être créé : celui des aînés. L’annonce de cette création a d’ailleurs été bien accueillie par l’AMC. Nos politiques de la santé en matière de soins aux aînés risquent donc d’évoluer considérablement au cours des prochaines années notamment en ce qui a trait au montant d’argent qui leur sera alloué.

Dans ce billet, je cherche à démontrer qu’un investissement de 21 milliards — aussi important soit-il — sera à lui seul insuffisant pour traiter la question des soins aux aînés de manière compréhensive. En d’autres mots: il faut faire plus qu’injecter de l’argent. Mon but ici n’est pas d’offrir des solutions, mais d’élargir notre vision des soins aux aînés afin que ceux-ci apparaissent comme plus qu’une facture de plus en plus salée. Ce billet est une invitation à s’interroger sur la nature du « plus » requis pour rencontrer le défi que pose les soins aux aînés. J’insiste particulièrement (mais pas exclusivement) sur les manières dont l’évolution des soins aux aînés pourrait interagir avec la collaboration interprofessionnelle.

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Si le gouvernement fédéral choisit de faire suite aux recommandations de l’AMC, il a essentiellement trois options. La première option est de sortir son chéquier et introduire de « nouvelles » sommes d’argent dans le système de santé pour s’occuper des aînés. La deuxième option est de couper dans les dépenses ailleurs dans le système de santé pour dégager des sommes qui seront réinvesties dans les soins aux aînés. La troisième option est de modifier la manière dont les soins sont organisés et dispensés pour accroître leur efficacité, ou en d’autres mots : faire plus avec moins (Notons toutefois que, puisqu’il s’agit ici du gouvernement fédéral, la modification de la manière dont les soins sont organisés et livrés ne peut se faire qu’indirectement, par l’entremise d’incitatifs financiers offerts aux provinces).

Évidemment, le gouvernement fédéral peut développer une stratégie qui combine ces trois options. Mais peu importe la forme de la stratégie finale, le gouvernement devra répondre à un nombre de questions clef. Par exemple: D’où viendra l’argent? Comment l’argent sera-t-il investi? Est-ce que certains sous-secteurs des soins aux aînés seront ciblés de manière prioritaire, et si oui lesquels et pourquoi?

La troisième option mentionnée ci-dessus — modifier la manière dont les soins sont organisés et dispensés — soulève les questions les plus intéressantes. Par exemple: Devrait-on prioriser le maintien à domicile de personnes âgées? Si oui, jusqu’où les soins à domiciles devraient-ils aller? Comment assurer le maintien à domicile? Des effectifs additionnels sont-ils requis?

Les questions liées à la modification de l’organisation et de la fourniture des soins aux aînés deviennent particulièrement intéressantes lorsqu’elles sont examinées du point de vue de la collaboration interprofessionnelle. On peut regrouper ces questions en deux types. Le premier type de question est lié à la formation des professionnels de la santé. Le deuxième type de question est lié à l’autorité et au degré de responsabilité des professionnels de la santé.

En ce qui concerne la formation des professionnels de la santé, cette dernière pourrait être modifiée de plusieurs façons pour améliorer et accroître les soins prodigués aux aînés. La nature de ces modifications dépendra des réponses que l’on donne à des questions telles que: Est-ce que les professionnels non-médecins devraient recevoir plus de formation, afin qu’ils puissent contribuer plus grandement à l’effort de prendre soin des aînés — notamment en prenant plus de tâches en charge? La formation médicale devrait-elle insister plus sur la formation en gériatrie? Quelles sont les tâches à valeur ajoutée qui pourraient être effectuées par les professions non-médicales sans formation additionnelle?

En s’attaquant à de telles questions, il serait possible d’élaborer plusieurs initiatives novatrices et prometteuses. Par exemple, les pharmaciens pourraient faire des visites à domicile pour réaliser un bilan complet des médicaments en la possession des personnes âgées — initiative qui existe déjà en Ontario. À l’occasion de ce bilan, le pharmacien pourrait prodiguer de nombreux conseils adaptés à la réalité concrète du patient. Il pourrait également récupérer les médicaments qui ne sont plus utilisés ou périmés, pour éviter que ceux-ci ne soient pris par erreur. Il pourrait en outre, en collaboration avec le médecin traitant, évaluer s’il est possible d’alléger ou autrement optimiser la liste de médicaments que prend un patient. Cette initiative pourrait réduire plusieurs coûts liés à l’alourdissement accidentel des cas cliniques causé par un excès de médicaments ou la prise de médicaments inappropriés. L’initiative pourrait également être vue comme une amélioration de la qualité des soins, car elle augmenterait la qualité de vie des personnes âgées.

En ce qui concerne l’autorité et le degré de responsabilité des professionnels de la santé, ce volet des soins soulève des questions juridiques complexes, qui dépendent du contexte. L’enjeu fondamental de ces questions est le suivant: qui a le dernier mot en matière de plan de traitement d’un patient? Cet enjeu est fondamental, car la majorité du temps le professionnel qui a le dernier mot — l’autorité — sera celui qui est légalement responsable envers le patient. Or, plus il y a d’intervenants, plus les intervenants collaborent étroitement, et plus il devient difficile de trancher qui est légalement responsable envers le patient.

Le cas des médecins offre le meilleur exemple. Traditionnellement, les médecins sont les professionnels de la santé ayant la formation la plus complète et poussée. Cela demeure encore le cas aujourd’hui, à quelques exceptions près. Ainsi, la responsabilité professionnelle des médecins tend à être plus large, puisque ces derniers sont plus exposés. En effet, la responsabilité professionnelle des non-médecins tend à être évaluée sur la base de tâches spécifiques, alors que celle des médecins tend à être évaluée sur la base de l’ensemble du plan de traitement et du cheminement du patient. Certains médecins expriment donc la crainte de voir leur responsabilité professionnelle augmenter dans un contexte interprofessionnel. Et en réponse à cette crainte, les médecins ont tendance à considérer que leurs patients sont bien les leurs, et s’assurent d’avoir le dernier mot. (Ceci dit : le contexte compte pour beaucoup en matière de responsabilité civile, et il faut se garder de donner trop de poids à des règles générales. Le professionnel ou les professionnels ayant l’autorité dans un cas précis, et donc la responsabilité, soulève toujours des questions de preuve importantes.)

La complexité des questions d’autorité–responsabilité ne se limite pas aux questions juridiques, car les questions de formation et les questions d’autorité–responsabilité sont interconnectées. En effet, plus les différents professionnels sont formés — et donc spécialisés dans leur domaine particulier — plus ils auront tendance à avoir ou réclamer de l’autorité et de l’autonomie vis-à-vis des autres professions. Ceci rend plus difficile le recours à une règle passe-partout qui alloue le gros de la responsabilité professionnelle aux médecins. Il faut donc se soucier de partager équitablement la responsabilité entre les professionnels. Plus la part des tâches d’une profession augmente, plus sa part de responsabilité doit augmenter.

Beaucoup de questions d’autorité–responsabilité devront être démêlées si les gouvernements désirent modifier la façon dont les soins aux aînés sont organisés et dispensés. En effet, selon un rapport de 2016 du CHU de Québec, dans la mesure où la condition de santé des aînés pourrait être améliorée par une prise en charge plus globale, cette prise en charge risque d’être mieux assurée par un corps professionnel diversifié travaillant en collaboration.

Démêler les pistes de solutions aux questions abordées ci-dessus sera un exercice complexe. Et vu les sommes d’argent en jeu, il est probable que les impacts sur les politiques de la santé soient majeurs, peu importe les réponses choisies. La complexité sera amplifiée du fait que les pistes de réponses à ces questions — qu’elles soient strictement budgétaires, de formation, ou d’autorité–responsabilité — ne passent pas par un seul acteur institutionnel. Les questions de formation, par exemple, impliquent les universités et les ordres professionnels autant que les gouvernements, qui ne pourront faire cavaliers seuls.

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En terminant, notons qu’une demande d’autorisation pour exercer un recours collectif récemment déposée en Cour supérieure du Québec risque d’aborder certains aspects des questions énumérées ci-dessus. Il s’agit de l’affaire Le Conseil pour la protection des malades et Daniel Pilote c. Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Montérégie-Centre et al. La liste des défendeurs inclut notamment les vingt-deux Centres intégrés de santé et de services sociaux du Québec. Sans prétendre résumer l’ensemble de la demande d’autorisation, je souligne ici certains éléments qui me semblent saillants.

Le recours vise à représenter « toutes les personnes résidant au Québec et étant résidentes ou ayant résidé dans un centre d’hébergement de soins de longue durée administré directement par les défendeurs . . . et qui ont été privées de services de santé et de services sociaux adéquats, suffisants, et de qualité, contrairement aux exigences de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, au cours des trois dernières années. Les Demandeurs invoquent une des dispositions générales de ladite Loi, soit l’article 5, qui prévoit que « Toute personne a le droit de recevoir des services de santé et des services sociaux adéquats sur les plans à la fois scientifique, humain et social, avec continuité et de façon personnalisée et sécuritaire ».

Les Demandeurs allèguent qu’en vertu de cet article, ainsi que d’autres dispositions plus précises de la Loi, « les conditions d’hébergement offertes dans les CHSLD [Centres d’hébergement de soins de longue durée] du Québec ne rencontrent absolument pas le niveau de qualité prévu par la législation applicable, et qu’un grand nombre d’aînés et de résidents de CHSLD passent . . . les dernières années de leur existence dans des conditions déplorables et honteuses, dont ils sont souvent trop vulnérables pour se plaindre ». Les Demandeurs invoquent, à l’appui de leurs allégations, un nombre d’enquêtes et de rapports de la Protectrice du citoyen émis au cours des dernières années. Selon les Demandeurs, ces documents appuient l’affirmation que la clientèle des CHSLD se trouve souvent dans des conditions déplorables. Parmi les nombreuses questions que les Demandeurs cherchent à faire trancher par le Tribunal, notons celle-ci: les résidents des CHSLD « ont-ils été privés totalement ou partiellement des services auxquels ils ont droit ou ont-ils reçu des services inadéquats ou de mauvaise qualité contrairement à la Loi sur les services de santé et services sociaux? »

Le recours n’en est qu’au stade de l’autorisation. Il a donc encore un long chemin à faire. Il pourrait ne pas passer le stade de l’autorisation, ou bien faire l’objet d’un règlement hors cour. Mais si le recours est autorisé et qu’il donne lieu à un jugement, il est possible qu’il mène à l’énonciation de standards pour la qualité des soins prodigués aux aînés. Ces standards pourraient potentiellement servir de guide aux gouvernements, et orienter les investissements à venir.

Mais aussi souhaitables soient-ils, les standards énoncés par le Tribunal dans le cadre de ce recours ne pourront fort probablement pas remplacer une réflexion profonde sur la manière dont les soins aux aînés sont organisés et dispensés. En effet, les enjeux en cette matière sont des enjeux profondément politiques et éthiques. Aborder ces enjeux nous invite à réfléchir sur ce que nous devons faire, plus particulièrement : ce que nous devons aux autres, et dans quelle mesure nous sommes responsables envers nos prochains.

La question fondamentale qui sous-tend la discussion ci-dessus est donc à la fois brève et profonde : que devons-nous aux aînés?

This content has been updated on 4 October 2018 at 12 h 37 min.

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