Projet de loi 3: une nouvelle tentative pour mieux encadrer les renseignements de santé qui soulève les mêmes préoccupations concernant les règles applicables aux professionnels

En décembre dernier, un an après la présentation du projet de loi 19, mort au feuilleton lors de la précédente session parlementaire, le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, M. Éric Caire, en présentait le « successeur ». Il s’agit du projet de loi 3 (P.L. 3), portant la Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives, qui a fait l’objet d’une annonce conjointe avec le ministre de la Santé et des services sociaux, M. Christian Dubé.

Avec quelques nouveautés, les objectifs poursuivis par ce projet de loi sont toujours les mêmes, étant formulés comme suit dans les notes explicatives :

Il a pour objet d’assurer la protection des renseignements, tout en permettant l’optimisation de l’utilisation qui en est faite et leur communication en temps opportun, en vue d’améliorer la qualité des services offerts à la population et de permettre une gestion du système de santé et de services sociaux basée sur la connaissance des besoins des personnes et de la consommation de services.

De façon générale, il y a donc toujours l’ambition de faire en sorte que la nouvelle loi s’applique à tout un éventail d’organisations, dès lors qu’elles se qualifient à titre d’« organisme du secteur de la santé et des services sociaux » (art. 4). En plus des établissements et de divers organismes du secteur public (annexe I P.L. 3), les cabinets privés de professionnels, les centres médicaux spécialisés et d’autres milieux du secteur privé où des renseignements de santé peuvent être collectés et utilisés sont visés (annexe II P.L. 3). Pour tous ces organismes, on écarterait ainsi la combinaison un peu échevelée de lois qui s’appliquent actuellement en cette matière dans le secteur public et dans le secteur privé, soit notamment la Loi sur les services de santé et les services sociaux (L.S.S.S.S.; art. 225 P.L. 3), la Loi concernant le partage de certains renseignements de santé (L.P.R.S., art. 207 P.L. 3), la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (L.A.I.; art. 161 P.L. 3) et la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (L.P.R.P.S.P.; art. 216 P.L. 3).

L’adoption du projet de loi 3 conduirait ainsi à l’établissement d’un cadre juridique autonome et unifié en ce qui concerne les renseignements de santé. Il s’agit toujours d’une mesure globalement souhaitable considérant les enjeux propres à ces renseignements, sur le plan de la confidentialité d’abord, mais aussi au chapitre de la valorisation qui peut en être faite pour la gouvernance du système de santé et pour la recherche, sans compter ceux d’une éventuelle commercialisation évoquée par un ministre de l’actuel gouvernement.

Quelques nouveautés

Sans prétendre ici dresser une liste exhaustive de ce qui le distingue du projet de loi 19, on observe que le projet de loi 3 contient de nouvelles dispositions qui visent à donner davantage de contrôle aux personnes sur les renseignements de santé les concernant, en leur permettant de prévoir des restrictions d’accès à l’égard de certains intervenants, de même qu’en ce qui concerne des proches ou des chercheurs (art. 7 à 9 P.L. 3).

On observe aussi un certain rattrapage sur des mesures importantes prévues par la « Loi 25 » (projet de loi 64) adoptée en 2021, concernant les éléments suivants :

  • Obligation d’information lors de la collecte (art. 14 et 15 P.L. 3) : L’obligation en cette matière est non seulement élargie pour tenir compte du nouveau droit de restriction d’accès, mais également en ce qui concerne les cas où l’organisme aurait recours à une technologie d’identification, de localisation ou de profilage. On observe toutefois que, contrairement à ce que la Loi 25 prévoit pour le secteur public (art. 65 L.A.I.), il n’est pas requis d’informer la personne concernée des conséquences d’un refus de répondre à une demande ou d’un retrait de consentement relatif à la communication ou à l’utilisation de renseignements. Peut-être en est-il ainsi parce que suivant l’article 10 du projet de loi 3, un tel refus ne devrait pas avoir d’impacts sur le droit d’obtenir des services.
  • Décision automatisée (art. 58 P.L. 3) : Un droit à l’information et à la révision est maintenant prévu pour la personne concernée dans le cas où une décision est fondée exclusivement sur un traitement automatisé des renseignements de santé. Ce droit devrait notamment être pris en compte dans les cas, sans doute encore plutôt rares, où des décisions cliniques ou administratives seraient prises à l’aide de systèmes d’intelligence artificielle, sans interventions humaines.
  • Anonymisation (art. 103 et 149 par. 2) P.L. 3) : Le concept d’anonymisation apparaît de façon plus consistante, comme alternative potentielle à la destruction de renseignements au terme de « la durée de conservation applicable ». On observe toutefois une différence significative avec le même concept introduit par la Loi 25 dans les lois d’application générale. Il n’est ainsi pas précisé que l’utilisation des renseignements ainsi anonymisés doit viser des « fins d’intérêt public » (comme c’est le cas pour le secteur public : nouvel art. 73 L.A.I.) ou « des fins sérieuses et légitimes » (comme c’est le cas pour le secteur privé : nouvel art. 23 L.P.R.P.S.P.). On pourrait en déduire que le législateur estime que, dans tous les cas, les renseignements de santé présentent un intérêt suffisant pour justifier que l’anonymisation soit privilégiée à la destruction.

Par ailleurs, d’autres changements sont apportés en ce qui concerne les possibilités de communication de renseignements de santé et de services sociaux dans les cas de risque sérieux de mort ou de blessures graves (art. 67, 162, 182, 193, 194, 202, 205, 213, 217 P.L. 3). Avec quelques autres précisions, on introduit la notion de « disparition » et, comme c’est le cas pour certaines autres obligations de signalement qu’on retrouve dans les lois québécoises (voir notamment : art. 43 de la Loi sur la protection de la jeunesse; art. 605 du Code de la sécurité routière), une immunité est prévue pour les professionnels et autres intervenants communiquant un renseignement dans un tel contexte.

Cela dit, au-delà des quelques nouveautés introduites par le projet de loi 3, on s’étonne toujours de constater que l’arrimage avec le droit professionnel reste incertain, voire déficient, alors que les renseignements de santé sont, dans la plupart des cas, recueillis par des professionnels. Au risque de répéter ce que nous avions déjà souligné concernant le projet de loi 19, voici quelques préoccupations en cette matière.

Comment interpréter le silence relatif au secret professionnel?

Bien sûr, le projet de loi 3 contient des dispositions particulières visant à préserver la confidentialité des renseignements de santé (art. 5 P.L. 3). Suivant l’approche habituelle, il prévoit que le patient peut renoncer à cette confidentialité et que, malgré celle-ci, certaines utilisations prévues par la loi restent permises.

La question qui se pose alors est la suivante: le droit au secret professionnel pour les patients et son obligation corollaire pour les professionnels ont-ils préséance sur les exceptions à la confidentialité prévues par le projet de loi 3 ou, à l’inverse, ces exceptions sont-elles effectives malgré le secret professionnel?

Il faut d’abord noter que le projet de loi 3 ne prévoit pas de dispositions particulières concernant le secret professionnel, contrairement à celle qu’on retrouve dans l’une des principales lois qu’il vise à remplacer, soit l’article 2 par. 1) L.P.R.S. qui se lit comme suit: 

2. Les dispositions de la présente loi doivent être appliquées et interprétées de manière à respecter les principes suivants:

1° le droit à la vie privée de la personne et au secret professionnel;

Bien sûr, puisque le secret professionnel correspond à un droit fondamental aux termes de l’article 9 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et qu’il relève d’une obligation établie suivant l’article 60.4 C.P., il devrait trouver application à l’égard des renseignements de santé collectés ou utilisés par les professionnels de la santé, même en l’absence de dispositions spécifiques à cet effet dans le projet de loi 3.

Mais suivant les termes de ces mêmes dispositions, faut-il considérer que les exceptions à la confidentialité prévues par le projet de loi 3 constituent une « disposition expresse » permettant la levée du secret professionnel?

Pour mieux comprendre l’enjeu en cause, on peut, à titre d’exemple non limitatif, envisager de façon distincte les deux questions suivantes:

  • D’une part, un psychologue, un psychiatre ou un autre professionnel à qui un patient confie une intention manifestement sérieuse d’infliger, de façon imminente, des blessures graves à une personne bien identifiée, devrait-il pouvoir alerter les services policiers en vue de prévenir cet acte de violence, malgré le secret professionnel?
  • D’autre part, le même professionnel qui reçoit les confidences d’un patient concernant un passé traumatique lié à des activités criminelles, mais qui ne présente aucun risque pour quiconque, devrait-il pouvoir communiquer ces renseignements aux autorités concernées aux seules fins de permettre que des poursuites judiciaires puissent être intentées contre le patient ou des tiers impliqués dans ces activités?

Dans le premier cas, la levée du secret professionnel est envisageable suivant les paramètres établis par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Smith c. Jones ([1999] 1 R.C.S. 455) et l’exception qui a ensuite été inscrite parcimonieusement à l’article 60.4 du Code des professions (C.P.), Cette exception concerne les cas où il y a « risque sérieux de mort ou de blessures graves », et, comme déjà indiqué, elle doit faire l’objet d’une révision bien circonscrite aux termes du projet de loi 3. Des conditions bien précises doivent être respectées, comme la présence d’un « sentiment d’urgence » et l’exigence que la communication ne soit faite qu’aux personnes concernées ou à celles qui peuvent leur porter secours, en se limitant aux renseignements nécessaires à cette fin.

Dans le même sens, on pense aussi à l’exception permettant le signalement aux autorités policières, malgré le secret professionnel, d’une personne ayant un comportement susceptible de compromettre sa sécurité ou celle d’autrui avec une arme à feu. Cette exception est prévue à l’article 8 de la Loi visant à favoriser la protection des personnes à l’égard d’une activité impliquant des armes à feu.

La même perspective préventive ou de protection immédiate se manifeste dans les dispositions autorisant la levée du secret professionnel en matière de protection de la jeunesse, de protection des personnes vulnérables, de sécurité routière, de santé publique, etc.

Le deuxième cas évoqué plus haut, celui d’une communication de renseignements qui n’aurait aucune finalité préventive ou de protection immédiate, mais seulement un objectif répressif, pour alimenter ou supporter des poursuites en matière criminelle ou pénale, est d’une toute autre nature. Il ne semble pas faire partie des situations où la levée du secret professionnel serait actuellement prévue. De fait, sur ce plan, on estime généralement qu’il ne faut pas risquer de compromettre le lien de confiance entre les patients et les professionnels de la santé et des services sociaux. C’est ce lien de confiance qui fait en sorte qu’une personne peut être amenée à se confier sans trop de réserves à un professionnel, en vue d’obtenir les soins requis par son état.

Par exemple, la Cour suprême a déjà eu l’occasion de qualifier de « fautive » la conduite d’un médecin qui avait communiqué à des policiers les résultats d’un alcootest d’un patient soupçonné d’avoir causé un accident de la route alors qu’il était en état d’ébriété, sans que ce dernier ait consenti à la communication (R. c. Dersch, 1993 CanLII 32 (CSC)). Dans ce jugement, la Cour suprême référait alors à une autre affaire dans laquelle elle avait reconnu l’obligation fiduciaire du médecin à l’égard des renseignements de santé de ses patients (McInerney c. MacDonald, 1992 CanLII 57 (CSC)).

Comment alors situer la portée de l’article 68 du projet de loi 3, qui se lit comme suit:

68. Un organisme peut communiquer un renseignement qu’il détient au Directeur des poursuites criminelles et pénales ou à une personne ou à un groupement qui, en vertu de la loi, est chargé de prévenir, de détecter ou de réprimer le crime ou les infractions aux lois lorsque le renseignement est nécessaire aux fins d’une poursuite pour une infraction à une loi applicable au Québec.

Cette exception à la confidentialité est bien prévue dans les lois d’application générale (art. 41.2 L.A.I. et art. 18 L.P.R.P.S.P.), mais elle n’apparaît pas actuellement dans les lois spécifiques au secteur de la santé (L.S.S.S.S. et L.P.R.S.), fort probablement en raison de la nécessité de préserver le lien de confiance entre les patients et les intervenants de ce secteur.

Or, si on conclut que l’exception de l’article 68 du projet de loi 3 est inapplicable dès lors que les renseignements concernés sont protégés par le secret professionnel, qu’en sera-t-il des autres exceptions à la confidentialité prévues par ce même projet de loi, qui concernent des situations où la levée du secret professionnel pourrait s’avérer plus pertinente ou légitime?

Pour ne prendre que ce seul exemple, on peut penser à l’exception prévue à l’article 28 du projet de la loi concernant les informations sur la cause d’un décès, qui peuvent être divulguées au conjoint, à l’ascendant direct ou au descendant direct, à moins que la personne décédée n’ait refusé l’accès à ce renseignement. Cette possibilité est déjà prévue par l’article 23 L.S.S.S.S. pour les renseignements contenus au dossier de l’usager détenu par un établissement de santé et de services sociaux. Vraisemblablement, elle crée une exception au secret professionnel, sans qu’elle n’y soit explicitement mentionnée. D’ailleurs, le projet de loi 3 aura pour effet d’étendre cette exception à l’extérieur du secteur public, notamment pour les renseignements détenus par des professionnels exerçant en cabinet privé.

Les exceptions visées aux articles 28 et 68 du projet de loi 3 étant toutes deux énoncées dans la même loi, sans aucune référence au secret professionnel, il faudra bien les interpréter de façon cohérente. Est-ce à dire que le secret professionnel en ressortirait fragilisé en ce qui concerne la communication de renseignements de santé à des fins répressives, pour alimenter des poursuites pénales ou criminelles ou, au contraire, qu’il devrait prévaloir en toute circonstance et qu’il ne serait alors plus possible de communiquer la cause de décès à des proches? Comment, dans ce projet de loi, départager les cas où le législateur entend faire prévaloir le secret professionnel et ceux où il entend autoriser la levée du secret professionnel?

À noter que l’idée que la levée du secret professionnel puisse intervenir même en l’absence de mention explicite, en considérant l’objet implicite d’une disposition ou d’une loi, semble parfois admise par les tribunaux, comme pour l’ancien article 192 du Code des professions (voir la mention à ce sujet dans l’affaire Archambault c. Comité de discipline du Barreau du Québec, 1992 CanLII 3997 (QC CA)) ou encore, l’article 57 L.A.I. (voir: Québec (Commission des valeurs mobilières) c. Association des juristes de l’État, 2003 CanLII 683 (QC CS). On pourrait ajouter à ce sujet que certains codes de déontologie, comme celui des médecins (art. 20, par. 5)), prévoient des dispositions complémentaires qui indiquent que la divulgation de renseignements couverts par le secret professionnel peut intervenir lorsque la « loi l’y autorise ou l’ordonne », sans donc requérir une disposition expresse.

À l’inverse, on observe que dans d’autres cas, les tribunaux se montrent plus exigeants sur la levée du secret professionnel dans un contexte où la vie privée pourrait être compromise, ce qui est susceptible d’être le cas en ce qui concerne plusieurs renseignements de santé. Ainsi, même dans le contexte de la lutte à des infractions dans le secteur financier, une déclaration d’inapplicabilité d’une disposition prévoyant la levée du secret professionnel peut être déclarée inopérante en l’absence de précautions suffisantes permettant d’assurer le respect des droits du client (Ordre des comptables professionnels agréés du Québec c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 4327),

Bref, l’incertitude en cette matière pourrait ne pas être sans conséquences, dans le contexte où, aux termes du projet de loi 3, il est acquis que certains détenteurs d’un renseignement protégé par le secret professionnel au sein d’une organisation de santé pourraient ne pas être eux-mêmes des professionnels régis par le Code des professions et ne pas se sentir liés par cette obligation, surtout si la loi est muette à ce sujet. Peut-être faudrait-il alors envisager, à l’instar de l’actuel article 2 par. 1) L.P.R.S., d’inscrire dans le projet de loi 3 un principe d’interprétation général sur la prévalence du secret professionnel, en indiquant précisément les situations où il peut être levé, pour des finalités légitimes et adaptées à la prestation de services de santé et de services sociaux.

Qui sont les professionnels visés?

Le projet de loi 3 devrait s’appliquer à différents « intervenants » qui offrent des « services de santé ou des services sociaux » ou qui fournissent à cette fin des « services de soutien technique ou administratif » (art. 3 P.L. 3). Avec des règles pouvant parfois être modulées, il s’applique autant à ceux ayant le statut de professionnel, comme une infirmière ou un travailleur social, qu’à ceux qui ne l’ont pas, comme un préposé aux bénéficiaires ou un agent administratif.

En ce qui concerne les professionnels, on relève toutefois certaines variations, sinon des inconstances, dans la rédaction du projet de loi, qui font en sorte qu’on utilise parfois l’expression « professionnel de la santé ou des services sociaux » (art. 17, 170, 240 et 259 P.L. 3), parfois l’expression « professionnel qui y exerce sa profession » (art, 2, 58, 92, 95, 97, 195, 231 P.L. 3) et parfois l’expression « professionnel au sens du Code des professions » (art. 36 et 83 P.L. 3).

En tenant compte de la définition de « professionnel » prévue à l’article 1 par. c) C.P., il faut sans doute ici comprendre que certaines dispositions sont appelées à s’appliquer à tous les professionnels qui exercent au sein d’une organisation de santé et de services sociaux et qui sont susceptibles d’utiliser des renseignements de santé, y compris par exemple un comptable professionnel agréé ou un avocat, alors que d’autres ne s’appliqueraient qu’aux professionnels soignants. En ce sens, une interprétation contextuelle de ces dispositions pourrait suffire à clarifier leur objet, mais il serait évidemment souhaitable de recourir à une terminologie constante et précise. Il faut noter d’ailleurs qu’il n’y a pas de définition universelle de ce qu’est un « professionnel de la santé et des services sociaux » et que celles qu’on retrouve dans certaines lois particulières ont une portée limitée à ces lois et ne sont pas convergentes (par exemple: art. 1 b) de la Loi sur l’assurance maladie; art. 4 du Code de la sécurité routière)

Dans cette même perspective, avec la liste des organisations du secteur privé mentionnées à l’annexe II du projet de loi 3 et, plus particulièrement, la définition de « cabinet privé de professionnel » à laquelle elle renvoie, il pourrait y avoir des hésitations quant à certaines situations particulières. Voici les définitions en cause:

Annexe II P.L. 3

1° une personne ou un groupement qui exploite un cabinet privé de professionnel au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2);

Art. 95 al. 2 L.S.S.S.S.

On entend par cabinet privé de professionnel un cabinet de consultation ou bureau, situé ailleurs que dans une installation maintenue par un établissement, où un ou plusieurs médecins, dentistes ou autres professionnels, individuellement ou en groupe, pratiquent habituellement leur profession à titre privé et à leur seul compte, sans fournir à leur clientèle, directement ou indirectement, des services d’hébergement.

Puisque, selon la définition de cabinet, il doit s’agir de professionnels qui « pratiquent habituellement leur profession à titre privé et à leur seul compte » (nos soulignements), qu’en serait-il des professionnels salariés dans les centres de services scolaires, les coopératives de santé, les centres de conditionnement physique ou dans toute autre organisation qui n’est pas spécifiquement incluse dans la liste des « organismes de santé et de services sociaux » prévue par le projet de loi 3? Si les salons funéraires sont inclus dans cette définition (art. 4 et annexe II par. 9) P.L. 3), pourquoi en serait-il autrement pour d’autres organisations dans lesquelles des professionnels offrent des services de santé et des services sociaux et recueillent ou utilisent ainsi des renseignements précisément visés par le projet de loi 3? Pour simplifier les choses à cet égard, il pourrait être envisagé de viser toutes les organisations dans lesquelles les professionnels offrent de tels services, à moins de miser sur le fait que le gouvernement pourra, par règlement, compléter la liste prévue aux annexes I et II du projet de loi (art. 4 par. 5) P.L. 3).

Quelles règles leur sont applicables?

L’identification des règles applicables aux professionnels en ce qui concerne les renseignements de santé pourrait aussi être compliquée en raison du fait que le projet de loi 3 ne détermine pas clairement comment ses dispositions cohabiteront avec les règles de droit professionnel. Étrangement, le projet de loi 3 est clair sur le fait que les lois de portée générale (L.A.I. et L.P.R.P.S.P.) ne trouveront plus application, mais il n’y a qu’une seule disposition qui concerne les règles du Code des professions, indiquant que ces dernières ainsi que celles découlant de la Loi sur les archives prévaudront en ce qui concerne le délai de conservation des renseignements (art. 16 P.L. 3).

Faudrait-il en déduire que les autres règles découlant de ce même code ne trouveront plus application à l’égard des renseignements de santé lorsqu’ils font l’objet d’une disposition introduite par le projet de loi 3? Au contraire, faudrait-il comprendre qu’il y aura application parallèle des règles en cause, mais sans indications quant à une quelconque préséance en cas de divergence? On pense ici aux règles qui découlent du Code des professions (art. 60.5 et 60.6), des codes de déontologie, de même que des règlements relatifs aux dossiers des professionnels, en ce qui concerne notamment la constitution, la confidentialité, l’accès et la rectification de ces dossiers.

Certes, le ministre pourra émettre, par règlement, des règles concernant les renseignements de santé, y compris à l’égard des renseignements détenus par des professionnels (art. 83 par. 2) P.L. 3). Elles pourraient aider à clarifier certaines situations en ce qui concerne les décisions liées à l’obtention ou à l’utilisation des renseignements en cause, mais il n’est pas assuré qu’elles puissent écarter tous les problèmes d’interprétation découlant des dispositions de la loi elle-même.

En définitive, que l’approche soit celle consistant à faire prévaloir les dispositions du projet de loi sur celles du Code des professions ou qu’elles soient à l’effet inverse, la clarté à cet égard serait mieux que l’actuel clair-obscur. Peu importe l’approche retenue, il s’agit bien sûr d’éviter des débats inutiles, mais aussi de permettre aux ordres professionnels concernés de décider s’ils doivent ou non maintenir leurs propres dispositions réglementaires concernant les renseignements de santé et, si oui, comment mieux les configurer pour que les résultats soient cohérents avec les dispositions du projet de loi 3.

Des restrictions aux pouvoirs d’enquête et d’inspection des ordres professionnels?

Le projet de loi 3 semble soulever la même difficulté que son prédécesseur en ce qui concerne l’accès aux renseignements de santé pour les ordres professionnels dans l’exercice de leurs responsabilités liées à la protection du public. Il est d’ailleurs loin d’être certain que l’aménagement qu’il propose à ce sujet soit satisfaisant.

C’est l’article 11 du projet de loi 3 qui est en cause ici, étant rédigé comme suit:

11. La présente loi n’a pas pour effet de restreindre la communication d’un renseignement détenu par un organisme s’il est exigé par le Protecteur du citoyen ou par assignation, citation à comparaître, mandat ou ordonnance d’une personne ou d’un organisme ayant le pouvoir de contraindre à sa communication.

Considérant le rôle que jouent régulièrement les ordres dans le secteur de la santé, on s’étonne qu’ils ne soient pas spécifiquement mentionnés, au même titre que le Protecteur du citoyen, parmi les autorités auxquelles on ne pourra opposer les dispositions de la loi pour restreindre l’accès à des renseignements de santé. Pourtant, en ce qui concerne le fonctionnement général des établissements et les actuelles règles applicables aux dossiers des usagers, le législateur n’a pas hésité à référer explicitement aux ordres professionnels et à protéger leur capacité d’intervention avec les articles 19 par. 8) et 77 L.S.S.S.S.

Quant aux termes génériques relatifs aux interventions d’une « personne ou d’un organisme ayant le pouvoir de contraindre à sa communication », ils ne correspondent peut-être pas exactement à certaines interventions réalisées par les ordres professionnels. Certes, comme le reconnaissent les tribunaux, les syndics des ordres peuvent exiger la production de documents ou de renseignements (art. 114, 122 et 192 C.P.), comme d’ailleurs d’autres intervenants qui y exercent des responsabilités, notamment les comités d’inspection professionnelle. Il n’est toutefois pas assuré que leurs interventions à cette fin correspondent à une « assignation », une « citation à comparaître », un « mandat » ou une « ordonnance ». On observe d’ailleurs que le Protecteur du citoyen dispose également de pouvoirs bien établis suivant sa loi constitutive et dans la loi relative à son mandat dans le domaine de la santé, ce qui n’a pas empêché qu’on y réfère spécifiquement à l’article 11.

En cette matière, la nouveauté qu’introduit le projet de loi 3, comparativement au projet de loi 19, concerne un mécanisme d’autorisation d’accès qui serait disponible aux ordres professionnels (art. 73 al. 2 par. 3) P.L. 3). Tel que décrit (art. 72 à 82 P.L. 3), ce mécanisme semble reposer sur une évaluation discrétionnaire par le « gestionnaire délégué aux données numériques gouvernementales », en fonction des critères établis par la loi, et n’apparaît pas particulièrement adapté aux interventions réalisées par les ordres professionnels. Il ne devrait pas s’agir ici pour le gestionnaire d’avoir à évaluer la pertinence d’une demande formulée par un ordre professionnel, au cas par cas ou suivant des critères qui lui sont propres. Il devrait plutôt être clair que la loi ne fait pas obstacle à un tel accès et que celui-ci devrait être accordé dès lors que l’ordre peut démontrer qu’il agit dans le cadre de l’exercice de ses responsabilités.

Conclusion

Le projet de loi 3 porte une réforme ambitieuse et nécessaire de l’encadrement des renseignements de santé. Avec ses 267 articles, il s’agit d’une initiative législative qui comporte plusieurs ramifications et il n’est peut-être pas étonnant, à l’étape de sa présentation, qu’il reste des « fils à attacher » sous différents aspects. Faut-il rappeler d’ailleurs que son prédécesseur, le projet de loi 19, n’avait franchi que l’étape de la présentation et n’avait donc pas pu bénéficier de consultations étendues auprès des intervenants concernés.

Puisque les professionnels comptent parmi les principaux intervenants qui ont à recueillir et à utiliser les renseignements de santé et de services sociaux, il est à espérer qu’une attention particulière sera accordée à adapter et à préciser les règles qui leur sont applicables. Devant les défis auxquels est confronté le système sociosanitaire québécois et les enjeux liés aux renseignements de santé, il y a tout lieu de favoriser une redéfinition cohérente et pérenne du cadre juridique québécois applicable en cette matière.

Ce contenu a été mis à jour le 19 janvier 2023 à 14 h 14 min.

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